Alors que les Burkinabè sont parvenus à mettre à bas le pouvoir d’un Blaise Compaoré ayant tenté le tout pour le tout afin de rester au pouvoir à l’issue de son mandat actuel, une pétition est en train de faire du bruit au Tchad, demandant à Idriss Déby de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2016 pour un cinquième mandat.
Installé au pouvoir en 1990 par les services secrets français, Idriss Deby n’a plus le problème qui a valu à Compaoré sa chute : c’est en 2005 qu’il a fait réviser la Constitution afin d’abolir toute limite en termes de nombre de mandats et d’âge. Ce tripatouillage avait provoqué, en vain, une forte mobilisation de la société civile et de politiques pour s’y opposer – notamment la création de la Coalition des partis politiques pour la défense de la Constitution (CDPC) dirigée par feu Ibni Oumar Mahamat Saleh, officiellement « disparu » suite à son enlèvement par les forces de sécurité en février 2008, et à propos duquel la justice tchadienne a prononcé un non-lieu en juillet 2013.
Eric Hervé Pando préside l’association sociale des jeunes pour la défense des droits humains (ASJDH), qui fait partie des organisations initiatrices d’un appel mobilisant de nombreuses associations de la société civile et des partis politiques d’opposition. De passage à Paris, il en explique les demandes collectives : « Nous critiquons le népotisme : ce sont les personnes du clan de Deby qui sont promues aux postes à responsabilités. Nous critiquons aussi la gabegie : les biens de l’État sont gaspillés par les enfants du clan, qui considèrent que ces biens sont leur propriété. Ils viennent s’amuser ici sur les Champs-Elysées etc. C’est écœurant. Les Tchadiens souffrent, le Tchadien ne mange pas, ne boit pas. Et pourtant le Tchad est un pays pétrolier, ce pétrole ne peut pas servir seulement aux enfants de Deby. Il y a aussi la mal-gouvernance, le pays est mal géré, c’est un gâchis total. L’incompétence des agents de l’État, la corruption ont gangrené toutes les sphères de l’administration, l’impunité est totale et la justice taillée à la dévotion du Président. Tout cela nous révolte. Il faut dire non, il faut que cela cesse. »
Toute manifestation étant interdite au Tchad, le mouvement appelait à une opération « Ville morte » le 9 octobre pour dénoncer une pénurie de carburant artificiellement créée, permettant à des proches du pouvoir de s’enrichir encore et impactant durement la vie quotidienne des Tchadiens.
Si la candidature du dictateur en 2016 est légale, le combat de ce mouvement est d’en montrer l’illégitimité et de s’accrocher à la définition de la démocratie, dont un des fondements est l’alternance, qui passe par l’organisation d’élections libres et transparentes, comme l’explique Eric Hervé Pando : « Il ne faut pas que Deby se représente aux élections de 2016 sinon cela serait un coup de force de sa part. Il est en train d’étrangler la démocratie, autant rester dans la dictature gouvernée par une main de fer plutôt que de se cacher derrière la démocratie pour infliger une main de fer à la population ».
Si cette mobilisation questionne en creux le positionnement et la capacité des forces politiques d’opposition à présenter des candidats crédibles et à se rassembler, elle révèle une détermination forte des acteurs de la société civile mobilisés malgré la répression. Aussi, elle est prise au sérieux par le pouvoir ; RFI.fr relevait le 23 octobre que « le fait de demander au chef de l’Etat de ne plus se représenter a fait mouche ».
Depuis 2013, Idriss Deby a su réchauffer ses relations avec l’exécutif socialiste en se faisant reconnaître comme LE partenaire africain des Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme, grâce à sa participation aux côtés des Français à l’opération Serval et à la Minusma au Mali (image tout de même entachée par son rôle dans la crise centrafricaine, cf. Billets n°236, juin 2014, et questionnable au vu par exemple de la visite que des groupes islamistes libyens ont rendue à Deby, selon Libya Herald du 16/09).
Les autorités françaises le lui rendent bien : accueillir le centre de commandement opérationnel de l’opération Barkhane sur son sol – négociation faite en toute opacité – permet à Deby de donner aux Tchadiens exaspérés des signaux que la France semble encore prête à le soutenir contre son peuple au nom de la stabilité (Mediapart, 19/10), comme le souligne un communiqué du 14 octobre du Collectif de solidarité avec les luttes sociales en Afrique : « Le 19 juillet, en visite au Tchad, François Hollande n’a pas rassuré les démocrates tchadiens déjà affaiblis par la répression, laissant croire, qu’en contrepartie de l’aide pour Barkhane, l’Etat de droit et l’absence de démocratie seraient encore moins pris en compte. Il n’a pas rencontré d’opposants laissant son conseiller Thomas Mélonio le faire très discrètement et sans engagement et le député Pouria Amirshahi s’exprimer en contrepoint ». Comme le résume Eric Hervé Pando « on se demande s’ils ne sont pas venus en bouclier pour le régime du Tchad, en protecteur ».
Comme toujours pour la politique africaine de la France, le suivisme des députés est de rigueur : le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone a ainsi mené une visite de 5 jours en Côte d’Ivoire, au Tchad et au Cameroun, du 23 au 27 octobre. En compagnie des députés qui l’accompagnaient, notamment la présidente de la Commission défense de l’Assemblée Patrice Adam, fidèle soutien de l’État-major au sein de l’Hémicycle, il a ainsi « tenu à se rendre compte personnellement de l’engagement des troupes françaises en Afrique » (LCP, 30/10), en se faisant prendre en charge par l’armée pour une visite du centre de commandement de Barkhane à N’Djamena. Sans oublier de s’afficher avec le numéro deux officiel de cet État dictatorial, le président de l’Assemblée nationale tchadienne Jacques Haroun Kabadi, passé depuis 15 ans par toutes les fonctions sensibles du régime : porte-parole du gouvernement, Premier ministre, Secrétaire général du parti au pouvoir puis de la Présidence, et même conseiller spécial de Deby.
Suite au renversement de Blaise Compaoré par son peuple, il reste à savoir si les autorités françaises tireront les leçons de leurs soutiens criminels à des autocrates soucieux de se représenter sans cesse – et sans grand suspense, fraude électorale aidant – à leur propre succession. Même s’il n’est plus question ici de changement constitutionnel, déjà entériné, la société civile tchadienne compte bien faire barrage à un Idriss Deby désireux, lui aussi, de gouverner à vie.