Survie

Pour Washington et Paris, le Burkina est une caserne

rédigé le 1er décembre 2014 (mis en ligne le 4 mars 2015) - David Mauger

Les appels répétés de la « communauté internationale » pour une transition civile au Burkina Faso sont-ils un soutien pour une transition démocratique réussie ? On aimerait y croire. Mais il faudra plus que la langue de bois des déclarations pour convaincre.

Après 27 ans de proximité étroite avec le régime du capitaine Compaoré, la diplomatie française est-elle en train de s’éloigner des militaires burkinabè ? Si Paris souhaite une transition civile au Burkina, elle devrait commencer par un changement au sein même de la diplomatie française. Ce sont en effet deux Saint-Cyriens qui ont occupé depuis 2010 le poste d’ambassadeur de France à Ouaga.

D’abord le Général de corps d’armée Emmanuel Beth, pendant trois ans. Dès 2008, lorsqu’il était directeur de la coopération militaire et de défense du ministère des Affaires étrangères, le Général Beth s’était illustré en élevant Gilbert Diendéré, le sécurocrate du régime Compaoré, au rang de chevalier de l’Ordre national de la légion d’honneur. Les membres de l’escadron qui, il y a 27 ans, assassina Thomas Sankara, étaient sous des ordres de Diendéré. En mai 2012, la presse burkinabè (L’Observateur Paalga, 24/05/2012) racontait les sauts en parachute du militaro-diplomate Beth avec son collègue Diendéré. Interrogé (France Culture, 03/11) sur le tripatouillage de la constitution qui venait de provoquer la chute de Compaoré trois jours plus tôt, Beth défendait encore le régime déchu et son président : « c’est un pays de dialogue, de négociation, à tel point que le président Compaoré était jusqu’ici le grand médiateur d’Afrique de l’Ouest, qu’il y a géré toutes les crises depuis les années 90 […]. Je crois que c’était ancré dans une culture et constitue autant d’éléments qui faisaient qu’il n’y avait pas de raison que ça bouge et l’on pouvait espérer, dans le cadre d’un optimisme, que les politiques et les interlocuteurs burkinabè allaient pouvoir s’arranger sur cette question. » Difficile de se remettre de 27 ans de collusion avec le régime déchu, d’arrangements avec la démocratie. On se souvient aussi qu’en janvier 2013, l’opération Serval était déclenchée juste après une première intervention des hélicoptères des forces spéciales françaises basées au Burkina Faso contre un groupe armé qui s’apprêtait à prendre l’aéroport de Sévaré au Mali.

Quant à Gilles Thibault, arrivé à Ouaga en 2013 pour succéder à Beth, il s’agit encore d’un diplômé de l’ESM Saint-Cyr. Jusqu’en 1995, il était officier de carrière au sein du ministère de la Défense, tout en servant comme officier dans les troupes alpines et en participant aux opérations extérieures de l’armée. Le jour même de la chute de Compaoré, Thibault était allé voir le Chef de file de l’opposition Zephirin Diabré, alimentant les rumeurs d’une ingérence française à un moment critique.

Au vu du pedigree des ambassadeurs français, il semble que pour Paris, le Burkina est avant tout une caserne, avec ses mutineries à mater et son terrain de jeu pour nos forces spéciales. Quoique de façon assez différente, le Burkina comme Djibouti souffrent d’un mal commun : des relations avec Paris et Washington sclérosées par une coopération militaire hors norme.

Selon le câble diplomatique 09OUAGADOUGOU298 révélé par Wikileaks, avec environ 70 personnels militaires US, le Burkina Faso était en 2009 le principal pied d’Africom en Afrique francophone (au 4e rang africain, derrière Djibouti, le Kenya et l’Ouganda), avec notamment des installations sur l’aéroport de Ouaga. Grâce à la participation du Burkina au Trans-Sahara Counterterrorism Program en 2006, puis à deux accords de défense signés en 2007 et 2008, les USA étaient devenus le premier fournisseur d’assistance militaire au Burkina. C’est donc sous l’angle de la coopération militaire que les relations entre Washington et Ouaga se sont réchauffées, après une longue période où la diplomatie américaine menaçait Compaoré de finir aux côtés de Charles Taylor, jugés ensemble par une juridiction internationale pour les guerres menées au Liberia et en Sierra Leone.

Son exfiltration par l’armée française n’est que le dernier signe en date d’une coopération très étroite entre Paris et le pourvoyeur d’armes et de rébellions que fut Compaoré pour l’Afrique de l’Ouest.

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