Survie

Smockey, du Balai Citoyen : « La France a encore une fois défendu ses intérêts et pas ceux des Burkinabè »

rédigé le 1er décembre 2014 (mis en ligne le 27 février 2015) - Survie

Smockey, rappeur engagé et très populaire au Burkina Faso, est un des porte-paroles du
« Balai citoyen », une organisation de la société civile burkinabè engagée dans le
mouvement de refus de la modification constitutionnelle et le renversement de Blaise
Compaoré. Il a accepté de répondre à nos questions le 26 novembre dernier.

Billets d’Afrique : Comment s’est structuré
le Balai citoyen, comment fonctionne-t-il
 ?

C’est un mouvement qui a un peu plus
d’un an et qui a pour mission d’exercer
une veille citoyenne. C’est une forme de
sentinelle, qui forme un groupe de
pression suffisamment important pour
obliger les autorités à travailler dans le
sens de la population.

Le Balai citoyen fonctionne par groupes,
nommés clubs CIBAL, qui sont reliés par
une coordination nationale. Il y a aussi
des ambassades CIBAL pour la diaspora
burkinabè à l’étranger.

En sait-on
davantage aujourd’hui sur les
responsables de la répression de
l’insurrection et sur son bilan ?

On parle d’un chiffre approximatif de 30
morts et également de centaines de
blessés. C’est surtout la garde rapprochée
du président Blaise Compaoré qui est en
cause, et celle de son petit frère François.

A qui dans l’armée le Balai citoyen a-t-il
demandé de "prendre ses responsabilités"
et pourquoi ?

Nous avons demandé à l’armée
républicaine de prendre ses
responsabilités afin d’assurer sa fonction
première de protéger la population
burkinabè. Si c’était à refaire, on le
referait. Ça nous semblait une attitude
responsable qui permettait d’éviter
d’envoyer des milliers de gens au casse-pipe.
Tout le monde sait que Kosyam
(ndlr : nom de la Présidence burkinabè)
était une poudrière, où il y avait plus d’un
millier d’hommes chargés d’assurer la
sécurité de Blaise. Nous savions aussi
qu’il y avait une grande partie des
militaires qui ne voulaient pas tirer sur la
foule et qui voulaient bien prendre leurs
responsabilités. Le peuple aussi scandait
« l’armée avec nous ! », dans cette
matinée du 30 octobre.

C’est un compromis, une sorte de deal
qui a permis d’épargner des milliers
d’innocents.

Que pensez-vous
du début
de la transition ?

Les révolutions ont toujours mangé leurs
enfants. C’est un peu ce qui est en train
d’arriver. Il y a toujours des moutons
noirs dans la lutte. Certains avaient des
« agendas cachés » et commencent à
vouloir prendre des postes
gouvernementaux. Certains nous
accusaient de vouloir faire la même
chose mais il est clairement stipulé dans
notre charte qu’aucun membre ne peut
prendre de responsabilité dans un
gouvernement. Mais cela ne nous
empêche pas d’avoir un droit de regard
sur tout ce qui se fait. Et de pouvoir
apprécier les choix qui seront faits pour
le bien de tout le peuple burkinabè.

C’est pourquoi nous restons un peu en
retrait, tout en restant vigilants ; et à
chaque fois que la situation l’impose, on
sort. Comme dernièrement avec la
nomination comme ministre de la Culture
d’une personne qui avait trempé dans
l’affaire de l’assassinat du journaliste
Norbert Zongo. Avec d’autres, on a mis la
pression et il a démissionné moins de 24
h après avoir été nommé !

On est là mais comme on dit : le tigre ne
proclame pas sa tigritude !

Comment avez-vous
perçu la "gestion de
crise" par les autorités françaises ?

Je pense que c’est de la politique et
toujours de la politique. La France,
comme toujours, a encore une fois
défendu ses intérêts et pas ceux des
Burkinabè, et ce n’est pas aujourd’hui que
ça va changer.

Le problème n’est pas forcément de
s’ingérer. C’est bien connu en Afrique :
quand il y a une dispute, on intervient
pour séparer. C’est de l’assistance à
personne en danger. Et personne ne vous
reproche de vous ingérer dans ce genre
de dispute. Le problème, c’est que la
France a eu maintes fois l’occasion de
rappeler à l’ordre un de ses poulains
contre toute tentative de tripatouillage de
la Constitution avant que l’insurrection
arrive, mais elle ne l’a pas fait ou trop
timidement. On aurait gagné en sang, en
temps et en énergie. On a rencontré
plusieurs ambassades comme celles du
Canada, des USA et de l’Union
Européenne, mais la France ne nous a
pas reçus.

Je déplore que la France n’ait pas été
ferme sur ce dossier Compaoré. Alors
qu’à ma surprise, l’ambassade américaine
a été la première à officiellement
critiquer l’option que Compaoré était en
train de prendre.

Je me rappelle que Laurent Bigot, un
haut fonctionnaire du Quai d’Orsay, avait
prédit la chute de Blaise et qu’il s’était
fait virer à cause de sa juste analyse
politique. Je pense qu’ils devraient le
reprendre car ça a été un des rares
diplomates français à avoir osé dire la
vérité alors que tout le monde savait ce
qui se passait et personne ne disait la
vérité.

Donc quand Hollande explique avoir
prévenu Compaoré deux semaines avant
les événements, ça me paraît ridicule
quand on connaît l’importance qu’a la
France en Afrique francophone.

Pensez-vous
que la France a bien fait de
fournir l’hélicoptère qui a permis à Blaise
Compaoré de quitter le pays ?

C’est clair que non. Ça n’est pas du
ressort de la France d’exfiltrer Compaoré
alors qu’il avait été prévenu longtemps à
l’avance de ne pas tenter sa mascarade.
Si la France avait voulu être applaudie,
elle aurait pu l’être en permettant
d’arrêter Compaoré. La France est au
contraire venue soustraire Blaise à la
justice burkinabè. C’est une question de
temps, mais nous pensons que justice
doit être rendue et qu’elle le sera.

Sur le dossier Thomas Sankara, le
lieutenant-colonel
Zida a, pendant qu’il
assumait l’intérim du pouvoir, décidé
d’autoriser une autopsie de la dépouille.
Comment percevez-vous
la nouvelle ?

C’est déjà un bon début. Mais on ne se
fait pas d’illusion sur le travail que peut
abattre ce gouvernement intérimaire.
Mais c’est déjà bien d’en parler, même si
ça a un côté un peu populiste qui permet
de surfer sur une certaine vague qui
n’était pas à la mode il y a quelques
mois. Après, il faut que les actes suivent,
et là je ne suis pas certain qu’on va aller à
fond. Je pense que cette lourde tâche sera
plus pour le prochain gouvernement
démocratiquement élu. C’est un dossier
qui mettra plusieurs années. Si on est
réaliste, on comprend bien qu’il y a
beaucoup de sujet sur lesquels il va
falloir plancher pour tirer au clair cette
affaire et ça ne va pas se faire du jour au
lendemain.

Mon problème, ça n’est même pas la
question de la tombe de Sankara, même
si c’est important pour sa famille. Non,
on veut vraiment que la justice fasse son
travail et réponde aux questions : Qui a
tué Sankara ? Qui faut-il
condamner ?

Quel est le dessous des cartes ? Tout le
monde sait qu’il y a eu des complicités
internationales pour que ce crime soit
réalisé.

C’est une étape mais nous attendons de
juger les actes. Au Balai Citoyen, nous
évitons de juger les individus sur leurs
paroles mais nous préférons les juger sur
leur actes.

Propos recueillis par
Nicolas Charbonneau.

En attendant les actes...

Depuis cette interview, réalisée le
26 novembre, d’autres mesures ont été
annoncées par les autorités burkinabè,
concernant à la fois le dossier Sankara
et la possibilité de demander
l’extradition de Blaise Compaoré
depuis le Maroc.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 241 - décembre 2014
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