L’année 2015 marque les 30 ans de l’association Survie, et les 10 ans de la mort de
François-Xavier Verschave. Entretien avec Fabrice Tarrit, président de Survie depuis 2011.
Billets : Quel rôle a joué Survie dans la
définition du terme de Françafrique et sa
popularisation ? Certains disent que ce
terme était utilisé avant les écrits de
Verschave, cofondateur
et ancien président
de l’association.
Fabrice Tarrit : Pour minimiser l’apport
de Survie au débat sur les relations
francoafricaines,
certains journalistes
insistent sur le fait que l’expression
« France-Afrique
» a été utilisée par le
président ivoirien Houphouët-Boigny
pour évoquer une communauté de destin,
un peu idyllique. Mais on pourrait
également citer un discours prononcé en
1951 par le ministre de la France d’Outremer,
François Mitterrand, sur les relations
franco-camerounaises,
dans lequel il
incitait à faire « triompher l’idée de ce
vaste ensemble, de cette grande unité que
doit constituer le couple France-Afrique
». Cette citation peu connue
apporte un éclairage supplémentaire sur
les racines idéologiques de la politique
menée durant ses deux mandats, puis par
les socialistes arrivés au pouvoir dans son
sillage.
L’expression « Françafrique », avec sa
connotation volontairement plus
sulfureuse, autour du jeu de mot sur
« fric » a été popularisée à partir de 1998
par François-Xavier
Verschave, mais elle
était présente dès octobre 1994 dans son
ouvrage sur le Rwanda, Complicité de
génocide, et dans ses articles de Billets
d’Afrique. « Françafrique » est issu d’un
cheminement intellectuel qui a conduit
Verschave à découvrir la persistance de
mécanismes de domination de la France
sur ses anciennes colonies, officiels ou
occultes, masqués par un discours sur une
France supposée « aider » l’Afrique. Le
terme n’était pas dans son esprit une
coquetterie de style ou un simple concept
intellectuel mais bien un objet, un terrain
de combat. Il s’agissait d’abord de
convaincre, en utilisant pour cela des
outils pédagogiques simples et ensuite de
pousser les citoyens à agir contre les
fondements et les effets de cette
politique : idéologie raciste, crimes,
dérives institutionnelles, mécanismes de
prédation, conformisme intellectuel, etc.
Il est donc toujours pertinent de parler
de Françafrique, contrairement aux
accusations selon lesquelles le mot serait
un peu galvaudé ?
Le terme « Françafrique » continue de
frapper les esprits. Il a un effet
mobilisateur, immédiat, il désigne en
quelques lettres un nombre important de
sujets, résume de nombreux écrits.
La rançon de son « succès » c’est qu’il est
utilisé dans le débat public avec des sens
différents, parfois dans le seul but de
démontrer que les phénomènes décrits
appartiennent au passé, avec les figures
faciles de Jacques Foccart, de Elf, des
coups d’Etat de Bob Denard et d’autres
« affreux ». Quand Omar Bongo est mort
en 2009, la première question que l’on
nous posait concernait la fin de la
Françafrique, comme s’il s’agissait d’une
organisation pyramidale avec un super
parrain français ou africain à sa tête. Ce
qu’il allait advenir du Gabon importait
peu aux journalistes. A Survie, ce qui
comptait pour nous à cette époque, c’était
de savoir comment allaient réagir les
autorités françaises à ce coup d’Etat
dynastique, quatre ans après celui au
Togo, quels effets néfastes le silence
français pourrait avoir pour les pays de la
sous-région
et leurs mouvement sociaux
réclamant l’alternance. Qu’allait-il
advenir
de la base militaire de Libreville ? Quels
seraient les liens de Total avec les
nouveaux venus au pouvoir ?
L’histoire de Survie est liée au terme
Françafrique, au point de s’y confondre...
et au risque de s’y enfermer ?
Depuis 20 ans, les publications et
mobilisations de l’association ont permis
d’approfondir la connaissance du
néocolonialisme français et d’interpeller à
son sujet. Cela a amené Survie à
s’intéresser à des sujets aussi divers que la
justice pénale internationale, les paradis
fiscaux et judiciaires, le fonctionnement
des multinationales, des banques ou de
nos institutions, l’histoire du racisme
français. Ce terrain d’action va au delà du
seul terme « Françafrique ».
Nous nous intéressons aux fondamentaux
de la relation franco-africaine,
qui
reposent sur des structures et des
postulats idéologiques. Les structures,
c’est la diplomatie française, ses liens
avec les dictateurs, le pouvoir de
l’exécutif au détriment du parlement, le
franc CFA, l’implantation et les
interventions de l’armée française en
Afrique, la défense des intérêts des
entreprises françaises appuyés
aujourd’hui par la « diplomatie
économique » promue par Laurent
Fabius. Idéologiquement, c’est l’idée que
l’Afrique aurait besoin de la France pour
décider à sa place, au plan politique ou
militaire, et que la défense des intérêts
français serait plus importante que le
respect des droits des peuples concernés.
Survie n’est donc pas le VRP d’un terme,
d’un concept, mais bien une force de
mobilisation portée par une exigence
citoyenne. Verschave parlait de « devoir
d’indignation ». C’est une expression qui
convient bien à ce que nous sommes, à ce
que nous continuons de faire malgré la
difficulté de s’opposer à un tel système.
Pour répondre à ceux qui ne voient en
nous que des agitateurs brandissant
partout le chiffon rouge de la
Françafrique, nous avons les acquis de
30 années de lutte, de dizaines
d’ouvrages, de milliers d’articles, et le
souci d’actualiser en permanence les
informations, de faire évoluer si
nécessaire notre grille d’analyse. C’est
ainsi qu’à l’issue d’une université d’été de
l’association, nous avons décidé de
publier en octobre l’ouvrage
Françafrique : la famille recomposée
(Syllepse), qui étudie les évolutions des
trois piliers de la Françafrique : la
diplomatie, l’armée et les entreprises.
Propos recueillis par Mathieu Lopes.