Survie

Ali Bongo sur la sellette

(mis en ligne le 7 janvier 2015) - Thomas Bart

L’année 2014 a marqué un regain à la fois des contestations du régime d’Ali Bongo et de la
violente répression qui s’est abattue sur les militants gabonais, dans l’indifférence française.

Rappel préalable

En 2009, Ali Bongo, alors ministre de la Défense, succède à son père Omar Bongo au
pouvoir depuis 1967, ceci grâce à un coup d’État électoral soutenu par la France.
Alors que la Constitution ne le limitait pas sur le nombre de ses futurs mandats, Ali
Bongo décide tout de même de la modifier fin 2010 afin de consolider son pouvoir,
notamment en conditionnant l’éligibilité à la présidence de la République à une année
de résidence préalable au Gabon (disqualifiant ainsi les opposants en exil). Ayant
l’année suivante interdit le principal parti d’opposition –l’Union Nationale– et mis en
place une Assemblée nationale à sa couleur (114 des 120 députés sont membres du
PDG, le parti au pouvoir), Ali Bongo souhaite visiblement continuer à piller les
richesses du pays, avec l’aide de multinationales très bien implantées..

Les contestations ont pris de
l’ampleur tout au long de l’année
2014, laissant espérer un
changement de régime dans un futur
proche. Dès les premiers mois, des
mouvements sociaux sont apparus dans
différents secteurs, notamment du côté
des enseignants et des étudiants au sein
des deux universités du pays, à Libreville
et Franceville. Plus étonnant, des secteurs
qui étaient jusqu’alors épargnés par ce
type de mouvements sociaux se sont mis à
bouger, comme les douanes à partir de
février. Au mois de décembre, on pouvait
comptabiliser près de 18 administrations
publiques en grève. Ces mouvements
s’expliquent en grande partie par le fait
que le régime d’Ali Bongo redistribue
encore moins qu’à l’époque de son père
les très abondantes richesses de ce petit
pays d’un million et demi d’habitants.

Contestation croissante

Un autre secteur et
non des moindres en
grève depuis début décembre est celui
du pétrole, coupant ainsi la principale
ressource financière du pays. Le puissant
syndicat du pétrole, l’ONEP (environ
4000 membres sur les 5000 salariés que
compte ce secteur) réclame notamment la
fin des prélèvements (et le
remboursement) de la CNAMGS : une
sorte de sécurité sociale sur le papier qui
ne sert de fait à rien pour les salariés du
secteur, mais permettrait, du fait de sa
totale opacité, à des membres du pouvoir
mafieux de remplir encore plus leurs
comptes bancaires.

Alors que les revendications syndicales
portaient au départ principalement sur des
revendications sectorielles, le fait que les
syndicats du secteur public se soient
réunis pour la première fois au sein d’une
grande coalition, le MOSAAP
(Mouvement Syndical des Agents de
l’Administration Publique) , et que cette
dernière organisation travaille de plus en
plus avec l’ONEP donne une autre
dimension à ces contestations.

S’ajoutent à ces mouvements de plus en
plus de défections d’anciens hauts
responsables au sein de l’ancien parti
unique (PDG), tels que l’ancien président
de l’Union Africaine Jean Ping ou encore
Jean Eyeghé Ndong (dernier Premier
ministre d’Omar Bongo), qui se sont réunis
avec d’autres opposants historiques
comme Zacharie Myboto (président de
l’Union Nationale, interdite) au sein du
Front de l’opposition pour l’alternance
(Fopa). Ces défections, bien
qu’opportunistes, déstabilisent encore un
peu plus le régime Bongo-PDG.

Violente répression

Alors que sur la fin du règne d’Omar
Bongo, les redistributions clientélistes
ciblées avaient pris le dessus parmi les
techniques utilisées pour casser les
mouvements sociaux, la dictature de son
fils marque un retour à l’intimidation et à
la répression généralisée. Tandis que de
nombreux étudiants de l’université sont
incarcérés (certains depuis plus de 6 mois
sans qu’aucun procès n’ait eu lieu) et que
d’autres sont torturés dans les geôles du
B2 (le service de contre-ingérence
militaire du régime), de nombreux
leaders syndicalistes et du Fopa font état
de pressions et de menaces sur leur vie.
Les journalistes indépendants ne sont pas
épargnés : sans parler des nombreuses
censures qu’ils subissent de la part du
CNC (le Conseil National de la
Communication, mais qui est plutôt le
Conseil National de la Censure), certains
passent aussi quelques nuits dans les
geôles du pouvoir, ou encore sont dans
l’obligation de s’exiler en passant par le
Cameroun (la France complice refusant
des visas pour s’exfiltrer) comme ce fut le
cas pour Jonas Moulenda, directeur de
rédaction du journal Fait Divers (qui
travaille notamment sur les
commanditaires des crimes rituels, une
pratique nichée au coeur du pouvoir).

De même, lors d’une grande
manifestation qui a eu lieu le 20 décembre
à Libreville, les militaires ont tiré sur la
foule, faisant un à six morts selon les
sources. Plusieurs dizaines de personnes
sont portées disparues (en détention ou
dont le corps aurait été récupéré par
l’armée), en plus des arrestations
assumées par le pouvoir. L’opposition a
annoncé le 22 décembre son intention de
saisir la Cour Pénale Internationale mais
la France, qui maintient une coopération
sécuritaire basée sur le renseignement,
l’aide logistique directe (359 000 € en
2011) et une vingtaine de coopérants
dépêchés dans l’armée gabonaise [1], n’a pas
réagi à ces violences : va-t-elle
continuer à soutenir ce régime assassin jusqu’au
bout, tel qu’elle l’a fait au Burkina Faso ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 242 - janvier 2015
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