Survie

Charlie ou Françafrique : il va falloir choisir

rédigé le 1er février 2015 (mis en ligne le 11 février 2015) - Odile Tobner

L’obscène récupération politico-médiatique des tragiques événements des 7, 8 et 9 janvier a provoqué en Afrique francophone un violent choc en retour, mettant ainsi à nu les contradictions où patauge la République française. Après que quatre chefs d’État africains, tous francophones, ont défilé à Paris en tête de la marche républicaine du 11 janvier, l’Afrique francophone a été secouée de manifestations anti-françaises d’une ampleur sans précédent. Alors que les présidents malien et nigérien prenaient à Paris la défense de la liberté d’expression de Charlie-Hebdo, la caricature de Mahomet parue en une du dernier numéro de ce journal provoquait au Mali et surtout au Niger les émeutes les plus violentes : dans ce dernier pays, les attaques d’églises chrétiennes ont fait plusieurs dizaines de morts. Le centre culturel fançais de Zinder a été incendié, des drapeaux français ont été brûlés. Du jamais vu dans un pays qui est au coeur de l’action militaire de la France au Sahel. Le hiatus entre une classe dirigeante inféodée à la France et une masse populaire qui lui est profondément hostile, latent dans nombre de pays francophones, a éclaté au grand jour.

Ces événements font surtout apparaître combien la petite bourgeoisie citadine de France est déconnectée des réalités impériales, biberonnée qu’elle est depuis des décennies à une information aux ordres. Il serait comique en d’autres circonstances de voir tous ces braves gens battre le pavé pour la liberté d’une presse prostituée à tous les pouvoirs et qui leur épargne soigneusement la perception des véritables rapports de force. Quand on a l’indécence de défiler avec Ali Bongo que veut-on dire d’autre sinon que la Françafrique est Charlie. C’est sans doute la raison pour laquelle on n’a pas vu les Français descendre en masse en 2004 pour protester contre le massacre par leur armée d’une soixantaine de civils ivoiriens, coupables seulement de s’être crus libres d’exprimer leurs convictions. La seule émotion publique fut de compatir à la fuite de milliers de Français de Côte d’Ivoire, victimes de l’ingratitude d’Africains ignares. Tout un système de propagande permet en effet à ces bonnes gens de vivre dans un monde enchanté, où les gentils Français et leurs gentils militaires sauvent l’Afrique des méchants, jadis le communisme, aujourd’hui le fondamentalisme musulman. Voilà désormais que ce conte édifiant se heurte à la tragique réalité. Ce n’est pas un hasard si la colère s’est particulièrement déchaînée au Niger, un des pays les plus misérables au monde, en dépit de considérables gisements d’uranium, dont l’exploitation ne profite qu’aux firmes françaises. On peut comprendre que les Nigériens commencent à éprouver un certain agacement à voir insulter ce qui est leur seule consolation par les enfants gâtés de l’empire.

Niamey n’est pas Paris. Il faut le savoir quand on prétend intervenir à l’extérieur et dicter la loi à des populations auxquelles on n’accorde aucun droit à l’existence. Si les Anglais et les Américains, pourtant bien plus attachés que les Français à la liberté d’expression, se sont bien gardés de reproduire la une de Charlie- Hebdo, c’est qu’ils ont conscience, eux, des réalités impériales. Vivre de l’exploitation des peuples ou prétendre les guider sur la voie du progrès : il faut choisir.

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