Sous couvert de lutte contre le terrorisme, la France est prête
à violer sa propre Constitution. La preuve, avec les
opérations militaires déployées dans la zone sahélienne.
Lors d’une grande tournée en
Afrique de l’Ouest et Centrale à la
mi-juillet 2014, François Hollande
a déclaré la fin de l’opération Serval au
Mali, déclenchée début janvier 2013,
mais l’armée française n’a pas plié
bagage pour autant (cf. Billets n°238,
septembre 2014). En effet, à l’opération
Serval au Mali succède l’opération
Barkhane, qui couvre désormais cinq
pays : la Mauritanie, le Mali, le Burkina
Faso (base des forces spéciales
françaises), le Niger (base des drones
français) et le Tchad. L’effectif déployé
dépasse les 3000 militaires. L’objectif
annoncé dans la presse par les autorités
françaises est la lutte contre le terrorisme
au Sahel. Mais il est impossible de citer
précisément quel est l’objectif officiel de
l’opération, puisqu’il n’a jamais été
présenté au Parlement français. Pourtant,
l’article 35 de la Constitution stipule
explicitement que « le Gouvernement
informe le Parlement de sa décision de
faire intervenir les forces armées à
l’étranger, au plus tard trois jours après
le début de l’intervention. Il précise les
objectifs poursuivis. Cette information
peut donner lieu à un débat qui n’est suivi
d’aucun vote ». L’opération Barkhane
ayant été déclenchée le 1er août 2014,
selon l’État-major des armées, une
présentation au Parlement aurait dû avoir
lieu avant le 3 août, mais il n’en a rien
été. Les vacances parlementaires ne
peuvent pas être invoquées comme
excuse : les commissions de la Défense et
des Affaires étrangères du Parlement se
sont réunies durant celles-ci, le 20 août,
pour discuter… de l’opération militaire
en préparation en Irak.
De plus, l’article 35 stipule aussi que
« lorsque la durée de l’intervention
excède quatre mois, le Gouvernement
soumet sa prolongation à l’autorisation
du Parlement ». Là encore, le
gouvernement n’a pas saisi le Parlement
début décembre pour voter la
prolongation, ou non, de l’intervention.
Ces deux omissions de l’exécutif, sûr de
son bon droit lorsqu’il décide d’intervenir
militairement en Afrique, constituent des
violations flagrantes de la Constitution.
Ce n’est pas la première fois que les
autorités françaises déploient des troupes
en Afrique sans suivre la procédure
constitutionnelle. L’opération des forces
spéciales Sabre est dans ce cas. En
application de la stratégie du Livre Blanc
de la Défense de 2008, qui définit la
bande sahélienne comme une zone de
crise, des forces spéciales françaises sont
déployées à Atar, en Mauritanie, en
novembre 2009, afin de former des
soldats du dictateur Aziz au contreterrorisme
(comprendre, à la guerre).
C’est le début de l’opération secrète
Sabre. En janvier 2010, un autre
contingent, temporaire, est mis en place à
Mopti au Mali, toujours sous couvert de
formation à l’armée locale. A la suite de
la prise d’otages sur le site d’Areva à
Arlit au Niger, la France décide
d’envoyer dans la zone une troisième
force, plus conséquente. Les premiers
pays contactés pour son implantation, le
Mali et le Niger, refusent. Selon Jean-Christophe
Notin, auteur de La guerre de
la France au Mali, (Tallandier, 2014),
« la solution a été obtenue en octobre
2010 suite à l’intervention du chef d’état-major
particulier de Nicolas Sarkozy, le
général Benoît Puga, auprès de son
camarade de promo à Saint-Cyr,
Blaise Compaoré » (p. 54). Le Commandement
des Opérations Spéciales (COS) s’installe
donc au Burkina Faso, là encore en
échange de formation pour son armée. Le
but étant, sous couvert d’une
« coopération opérationnelle » de mener
selon Notin des actions « beaucoup plus
engagées sur tout le territoire sahélien ».
Ce sera le cas le 8 janvier 2011, lors de
l’enlèvement à Niamey (Niger) de
Vincent Delory et Antoine de Leocour,
deux jeunes Français, par des membres
d’Al Qaida au Maghreb Islamique
(AQMI). Les forces spéciales de
l’opération Sabre vont prendre en chasse
les ravisseurs puis attaquer le convoi.
L’assaut se soldera par la mort des deux
otages (dont l’un vraisemblablement des
tirs français), de six preneurs d’otages
ainsi que de deux gendarmes nigériens.
Comme « intervention des forces armées
à l’étranger », on peut difficilement faire
mieux : les missions de formation ne
peuvent plus être prétextées, et la saisine
du Parlement prévue par la Constitution
aurait dû être mise en œuvre. Pourtant, le
gouvernement n’organisa aucun débat au
Parlement, et encore moins de vote sur la
prolongation de l’opération au-delà
de quatre mois, alors que les militaires de
Sabre sont restés déployés dans la région
après cet événement – ils y sont même
toujours. Ce sont d’ailleurs eux qui, en
2013, ont bloqué l’attaque de groupes
armés sur Sévaré au Mali (élément
déclencheur de l’opération Serval).
Certes, on parle ici d’une opération des
forces spéciales. Celles-ci ont, depuis leur
création, vocation à constituer une garde
prétorienne à la discrétion de l’Elysée et
de son Etat-major particulier, et ses
actions sont généralement conservées
secrètes. Ainsi, depuis le premier vote du
Parlement sur les opérations extérieures
africaines, le Premier ministre François
Fillon a, à deux reprises, indiqué que les
forces spéciales, comme les forces
clandestines de la Direction Générale de
la Sécurité Extérieure (DGSE), resteraient
exclues de tout contrôle parlementaire.
Pourtant, comme le constate un rapport
des sénateurs sur les forces spéciales
(n°525, 13 mai 2014), aucun fondement
juridique ne vient légitimer cette
exception au principe constitutionnel. Et
de citer l’opération Sabre qui « pose la
question de la légalité des opérations
spéciales à l’étranger » faute d’avoir
respecté l’article 35 de la Constitution.
Ainsi, au même titre que l’opération
Barkhane, l’opération Sabre est une
opération désormais anticonstitutionnelle.
Ne pas confondre légalité et légitimité
Le 12 janvier, l’association Survie a
interpellé par voie de communiqué
de presse l’ensemble des députés et
sénateurs français sur la violation de
l’article 35 de la Constitution
concernant l’opération Barkhane, qui
n’a toujours pas fait l’objet de débat
ni de vote au Parlement, plus de cinq
mois après son démarrage officiel. A
l’heure de boucler ce numéro de
Billets, seul Jean-Jacques Candelier,
député communiste du Nord, s’est
emparé du sujet.Il a en effet, le 22 janvier, adressé au
ministre de la Défense un courrier
pour réclamer le respect de
l’article 35 de la Constitution, en
utilisant pour cela les arguments du
communiqué publié par Survie (mais
sans citer l’association).La reprise de cet argumentaire par le
député s’accompagnait toutefois,
dans le communiqué de presse qu’il
a diffusé quelques jours après, le 28
janvier, d’une affirmation pour le
moins discutable : « Opération
Barkhane : la Françafrique est finie,
je réclame un vote du Parlement,
conformément à notre Constitution
». Maladresse, divergence dans
l’analyse ? Car, faut-il le rappeler, la
Françafrique n’est hélas pas terminée
(en cas de doute, lire Françafrique,
la famille recomposée, éd. Syllepse,
2014) et ce n’est donc pas parce
qu’elle serait supposément « finie »
que les députés doivent se saisir de
cette question (parmi d’autres), mais
justement pour en finir avec cet
ensemble de mécanismes officiels et
officieux qui forment ce système
spécifique d’ingérence et de
domination. Au-delà de la nécessaire
organisation d’un débat au Parlement
sur Barkhane et sa prolongation,
mais également sur Sabre et les
opérations des forces spéciales, il est
indispensable que les parlementaires
prennent conscience que les
interventions militaires françaises en
Afrique n’ont rien de légitimes,
fussent-elles légales ou conformes à
la Constitution. Pointer ces
violations de Constitution, comme le
fait Survie, vise à provoquer ce
débat au sein de la représentation
nationale et de l’opinion publique,
engourdies par des décennies de
discours lénifiants sur le bienfondé
de la présence de l’armée française
dans son pré-carré colonial.