Survie

Circuits françafricains d’approvisionnement

rédigé le 2 mars 2015 (mis en ligne le 1er mai 2015) - Yanis Thomas

Les achats d’armes par des dictatures amies de la France
servent parfois tout simplement à soutenir discrètement
d’autres alliés, sur commande des services secrets.

Les trafics d’armes et le maillage
françafricain ont toujours fait bon
ménage. Dès la fin des années 60,
le Gabon et la Côte d’Ivoire ont par
exemple pu servir aux barbouzes du
réseau Foccart comme discrets relais
d’approvisionnement en armes de la
rébellion sécessionniste du Biafra,
province riche en pétrole du Nigéria.

Guerre en Yougoslavie : passage par la case Tchad

Plus récemment, au début des années
1990, les « amis » africains ont été
sollicités pour soutenir la politique
clandestine de la France, non plus en
Afrique mais dans les Balkans. En 1991,
la guerre civile fait rage en Yougoslavie,
après la proclamation de l’indépendance
de la Croatie et de la Slovénie. Pour
limiter les combats, le Conseil de sécurité
des Nations Unies instaure à partir de
septembre un embargo sur les armes. Or,
la France cherche à soutenir activement
les Croates. La Direction de la
Surveillance du Territoire (DST), chargée
normalement du contre­espionnage, met
en relation un intermédiaire croate, Marin
Tomulic, présent en France, avec l’ancien
officier belge Jacques Monsieur,
reconverti dans le trafic d’armes et futur
grand artisan du réarmement de Sassou
Nguesso lors de sa reconquête du pouvoir
au Congo quelques années plus tard, en
1997. Aiguillonné par les services secrets
français, le trafiquant propose aux
autorités croates naissantes de
l’armement en provenance de pays
d’Europe de l’Est, à régler sur un compte
au Luxembourg. C’est au moment de
l’acheminement de la cargaison que les
réseaux françafricains sont activés. En
effet, pour pouvoir être exporté, tout
matériel militaire doit être accompagné
d’un certificat d’utilisateur final, ceci afin
d’être « sûr » que les armes ne sont pas
destinées à un pays sous embargo.
L’astuce pour les trafiquants d’armes bien
introduits en Françafrique revient donc à
solliciter des dirigeants africains afin
qu’ils signent le certificat d’une
commande qui ne leur est pas destinée.
Pour contourner l’embargo appliqué aux
belligérants de l’ex­-Yougoslavie, notre
Monsieur aurait ainsi, selon le reportage
« Ventes d’armes : dans les filières du
trafic » (Spécial investigation, décembre
2009), fait appel au Tchad d’Idriss Déby
(déjà là !) et potentiellement au Togo du
général Eyadéma, père de l’actuel
dictateur. Au passage, les dirigeants qui
utilisent leur pays comme un prête­-nom
prennent leur commission sur la
transaction : 5% dans le cas du Tchad.
Sur les dizaines de millions de francs qui
sont échangés, cela fait une somme
colossale destinée au dictateur.

Libye : une barbouze pour armer la rébellion

De telles filières sont encore actives de
nos jours. En 2011, lors de l’intervention
militaire en Libye pour faire tomber
Kadhafi (opération Harmattan), la France
décide d’approvisionner en armes les
rebelles, notamment dans le Djebel
Nefoussa. Selon Jean­-Christophe Notin,
auteur de La vérité sur notre guerre en
Libye
(2012, Fayard), une solution
ressemblant à celle citée précédemment
est proposée aux autorités françaises. Une
barbouze présente sur place, un ancien
officier de l’armée française ayant
soutenu les rébellions des Karen en
Birmanie, de Sassou Nguesso au Congo­
Brazzaville ou encore celles des Darfouri
au Soudan, aurait en effet réfléchi « à
une filière d’approvisionnement en armes
bulgares. Achetées en Albanie, les caisses
auraient transité par un pays africain,
lequel aurait accepté de signer l’indis­pensable certificat d’"end using user"
[utilisateur final] avant de les renvoyer
par la route en Libye. Le délai – trois
semaines – a été jugé trop long à Paris
au vu des périls encourus
 » (p. 391). Au
final, les armes seront parachutées par
des avions de transport français. Il n’en
reste pas moins que le circuit d’armement
est toujours en place.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 244 - mars 2015
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