Le Maroc a obtenu une garantie d’impunité en échange du rétablissement de ses relations
judiciaires et sécuritaires avec la France.
Le 31 janvier, les ministres de la
Justice des deux pays annonçaient
le « rétablissement immédiat de la
coopération judiciaire et juridique », un
peu moins d’un an après sa suspension
par le Maroc. La crise entre les deux pays
avait commencé quand des policiers
étaient venus à la résidence de
l’ambassadeur du Maroc en France pour
notifier au chef du renseignement
marocain une demande d’audition de la
justice française. Abdellatif Hammouchi,
qui a sous ses ordres le centre de
détention de Temara, était en effet visé
par une plainte pour complicité de torture
à l’initiative de l’association ACAT
(Action des chrétiens pour l’abolition de
la torture).
Depuis plusieurs mois, les autorités
françaises, à commencer par le Président
et son Premier ministre, multipliaient les
déclarations publiques d’amitié à
destination du royaume chérifien, tandis
que les autorités marocaines semblaient
au contraire faire monter la pression et les
enchères. La rupture était bien entendu
superficielle, personne n’entendant
remettre en cause les intérêts croisés entre
les deux pays, notamment la forte
présence économique française dans le
pays (près de 700 filiales), ou le soutien
français au Maroc sur son occupation du
Sahara occidental. Si l’on en croit Rfi.fr
(02/02), les autorités françaises étaient
surtout gênées par la rupture de la
coopération sécuritaire et de l’échange
d’informations entre services : « depuis
un an, les informations concernant les
mouvements des combattants islamistes,
notamment dans la bande sahélosaharienne,
ne remontent plus,
handicapant lourdement les services de
renseignement français et européens ».
L’annonce du rétablissement de la
coopération a été suivie d’une visite
officielle de Mohamed VI à l’Elysée, puis
d’un voyage du ministre français de
l’Intérieur à Rabat. C’est à cette occasion
qu’une partie du voile a été levée sur les
contreparties accordées au Maroc en
échange du rétablissement des relations
« normales » entre les deux pays. Bernard
Cazeneuve a en effet annoncé que
Hammouchi, le patron du renseignement
marocain, que « la France avait déjà eu
l’occasion de distinguer (…) en 2011 en
lui attribuant le titre de Chevalier de
l’ordre de la Légion d’honneur », se
verrait « prochainement » remettre « les
insignes d’officier ». Cette décision prise
au nom de la raison d’Etat, constitue un
véritable crachat sur les victimes de
tortures et les associations qui les
soutiennent, et a évidemment provoqué
des réactions indignées de ces dernières.
Et ce d’autant qu’à peine 48 heures après
le passage du ministre, deux journalistes
français qui effectuaient une interview
dans les locaux d’une ONG marocaine
étaient arrêtés violemment et expulsés.
Le quai d’Orsay a estimé préférable de ne
pas protester ; en revanche, le jury du
prix Albert Londres a renoncé à se rendre
à Tanger pour la remise des prix 2015.
« Deux journalistes arrêtés et expulsés, le
local d’une association, l’Association
marocaine des droits de l’Homme
(AMDH), envahi par la police, des rafles
d’étrangers décidées au mépris des lois
votées récemment, l’intimidation et
l’incarcération à l’égard de ceux et celles
qui dénoncent la torture, des attaques
répétées contre l’ensemble du mouvement
associatif ; cette accumulation
d’événements marque une dégradation
constante de la situation des droits de
l’Homme au Maroc », résume la Ligue
des Droits de l’Homme.
Mais la breloque promise à Hammouchi a
surtout valeur symbolique, et on se
doutait qu’il y avait eu d’autres
contreparties et des assurances données
en matière d’impunité. Selon Le Canard
Enchaîné (18/02), le texte de la
convention franco-marocaine
d’entraide
pénale, contient un important « cadeau de réconciliation » : il offre la possibilité de
transférer au Maroc les plaintes qui
viseraient ses ressortissants en France. Il
appartiendrait ensuite « prioritairement »
au Maroc de décider des « suites à
donner »... ou de la « clôture » du dossier.
On se doute du résultat…
Un roi juge et partie, dans le business aussi
La visite du roi Mohamed VI est intervenue alors que le journal Le Monde publiait sa série d’articles sur les dessous de la banque HSBC (lire p. 7). Parmi les comptes
bancaires auscultés sur un listing datant de 2006-2007,
plusieurs appartenaient à la famille royale marocaine. Celui du roi ne comptait que 8 millions d’euros : une broutille au regard de sa fortune estimée à près de 2 milliards de dollars. Mais cette somme correspondrait aux dividendes reçus par le roi à l’été 2006 de la Société nationale d’investissement (SNI), principal groupe privé du pays dont les principaux actionnaires sont le roi et ses parents.Outre qu’il est en principe illégal, pour des Marocains résidant au Maroc, de détenir un compte bancaire à l’étranger, les journalistes du Monde (8/02) soulèvent une amusante question : sachant que le groupe SNI, qui pèse « 6,4 milliards d’euros en 2013 (soit à lui tout seul, 7 % du PIB marocain) » est « un empire qui détient des parts, le plus souvent majoritaires, dans
trente-quatre compagnies – certaines multinationales – réparties dans une quinzaine
de secteurs économiques majeurs » et sachant qu’il est « aujourd’hui détenu à près de 60 % par la famille royale, à travers différentes holdings personnelles » (sans compter leurs richesses immobilières ou autres), et enfin sachant que « l’article 36 [de la Constitution] prohibe "les conflits d’intérêts (…) [et] toutes les pratiques contraires aux principes de la concurrence libre et loyale" », les entreprises dont le roi est actionnaire « partent-elles vraiment sur un pied d’égalité avec les autres » quand leur actionnaire est de surcroît « l’autorité administrative et judiciaire suprême » ?
Une alliance aussi sur le dos des Sahraouis
Au sud du Maroc, le Sahara Occidental
est toujours occupé par le Maroc, qui a
signé en 1991 un accord de cessez-le-feu
avec les forces armées indépendantistes
du Front Polisario, prévoyant
l’organisation d’un référendum
d’autodétermination sous l’égide des
Nations Unies. Celles-ci
ont dépêché
depuis une Mission pour l’organisation
d’un référendum au Sahara occidental,
la MINURSO. Mais le Maroc, soutenu
par la France, retarde indéfiniment la
tenue de ce référendum auquel il est
opposé, prétendant même il y a
quelques mois que l’objet de la
MINURSO serait en somme la simple
observation du cessez-le-feu.L’inclusion
dans son mandat d’une mission de
surveillance des violations des droits
humains a quant à elle été refusée par le
Conseil de Sécurité l’année dernière,
grâce au lobbying du Maroc et de ses
alliés face à un Secrétariat général de
l’ONU prêt à envisager cette possibilité.
Après une année de bras de fer, le roi
Mohammed VI vient finalement de se
résigner à recevoir Christopher Ross, le
représentant personnel du Secrétaire
général de l’ONU, ainsi qu’à accepter la
mission de Kim Bolduc, nommée
depuis juillet 2014 représentante
spéciale du Secrétaire général pour le
Sahara occidental et Cheffe de la
MINURSO.Mais le rabibochage
officiel du Maroc et de son indéfectible
alliée sur ce dossier, la France, n’augure
rien de bon à la veille du réexamen
annuel du mandat de la MINURSO par
le Conseil de sécurité de l’ONU, prévu
fin avril. S’il y a peu d’espoir que celui-ci
permette enfin d’inclure la
surveillance du respect des droits
humains, malgré des années de violente
répression, de tortures et de détentions
arbitraires, la demande du Front
Polisario que l’ONU reprécise à cette
occasion la mission des Casques bleus
dans la région pourrait rappeler que,
depuis 24 ans, le Maroc refuse
d’organiser un referendum auxquels ont
droit les Sahraouis, avec l’aide de la
France qui a la capacité de verrouiller le
Conseil de sécurité.