Survie

La cellule Afrique de l’Élysée au centre de l’affaire de Bouaké ?

rédigé le 2 mars 2015 (mis en ligne le 1er mai 2015) - David Mauger

Retour sur la crise franco-ivoirienne de novembre 2004 (lire
notre dossier dans Billets n°240, novembre 2014), dont le
bilan tragique des morts fait état d’un Américain, neufs
militaires français et environ 60 civils ivoiriens.

Les crimes commis contre les civils
ivoiriens par l’armée française dans
les heures et les jours qui ont suivi le
bombardement d’un camp militaire français
installé dans un lycée de Bouaké le 6
novembre 2004, imprescriptibles puisqu’il
s’agit de crimes contre l’humanité, n’ont
encore fait l’objet d’aucune enquête
judiciaire. En revanche, l’instruction sur le
bombardement lui­-même, ouverte suite aux
plaintes des victimes et des familles des
soldats français, continue d’avancer. Suite à
une nouvelle audition du général Poncet
par la juge Khéris début février,
L’Humanité (24/02) a publié des extraits de
notes de l’Élysée du 2 novembre 2004,
quatre jours avant le bombardement de
Bouaké. Pour le général Jean-­Louis
Georgelin, chef d’état­-major particulier de
Jacques Chirac, il est alors « impératif de
tenter de dissuader le président Gbagbo
 »
de lancer l’offensive aérienne contre la
rébellion qui contrôle le nord du pays, y
compris en le menaçant d’une « riposte des
forces impartiales
 » et d’une « intervention
possible du Liberia et du Burkina Faso au
plan militaire
 ». Malgré ses dénégations,
l’Élysée était donc décidé à protéger la
rébellion ivoirienne et parfaitement infor­mé du soutien militaire que les présidents
Blaise Compaoré – aujourd’hui accueilli en
Côte d’Ivoire, après sa chute l’automne
dernier – et Charles Taylor – condamné à
50 ans de prison pour une autre guerre,
menée en Sierra Leone – avaient apporté
dès le début à la rébellion ivoirienne.

Georgelin ajoute qu’il faut convaincre
Guillaume Soro – qui dirige la rébellion –
et Alassane Ouattara, que « la seule
possibilité de renverser le président
Gbagbo passe par les élections
 ». Quant
au conseiller Afrique de Jacques Chirac,
Michel de Bonnecorse, il précise (toujours
le 2 novembre 2004) qu’Alassane Ouattara
« sait n’avoir aucune chance » d’être élu et
« souhaite un effondrement général qui
pourrait lui être profitable
 ». La cohérence
avec ce qu’il s’est finalement passé lors de
la crise électorale de 2010/2011 est pour le
moins troublante : des élections dans une
Côte d’Ivoire toujours coupée en deux, en
présence d’une rébellion jamais désarmée,
de larges fraudes sur lesquelles la « communauté internationale » a fermé les yeux, le passage en force d’Alassane Ouattara
soutenu par la France et les Nations Unies,
forces faussement désignées "impartiales",
et celui de Laurent Gbagbo proclamé
vainqueur par un Conseil constitutionnel
manquant tout autant de neutralité, puis
finalement le renversement de Gbagbo par
l’armée française, alliée aux rebelles de
Guillaume Soro.

Ces nouveaux éléments sont à rapprocher
du témoignage clé de Jean-­Jacques
Fuentès, mercenaire instructeur au sein de
l’armée ivoirienne : « Le 5 novembre
[2004] au soir, un officier ivoirien a reçu
un coup de fil de la cellule Afrique. A
priori, c’était une désignation de cible,
qu’il aurait fallu bombarder pour finir la
guerre [...] à quelques centaines de mètres
du lycée Descartes [devenu camp
militaire français], où se tenait
prétendument une réunion des chefs
rebelles
 ». Bien qu’incroyable a priori,
cette intoxication par la cellule africaine de
l’Élysée que dirigeait Michel de Bonne­corse est jusqu’ici la seule explication
rationnelle du bombardement du camp
militaire français par l’armée ivoirienne.

En janvier 2007, le journaliste indépendant
Alain Chabod avait recueilli une longue
confession filmée de Jean-­Jacques Fuentès
qui, bien qu’évoquée dans plusieurs articles
de presse, n’a jamais été diffusée. En mai
2007, Fuentès était opportunément arrêté à
Bordeaux, puis extradé vers Malte pour
l’exportation illégale, en 2003, de deux
avions militaires vers la Côte d’Ivoire. Une
affaire d’où il sortit blanchi par la justice
maltaise. C’est finalement en mars 2010
que la juge Florence Michon recueillit son
témoignage, qui accrédite le rôle central de
l’Élysée dans l’affaire du bombardement du
camp militaire français de Bouaké.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 244 - mars 2015
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