Alors que le tribunal pénal international mis en place pour juger les auteurs du génocide des Tutsi au Rwanda (le TPIR) en 1994 devrait fermer en 2015, seuls les tribunaux nationaux permettront désormais de juger les affaires qui ne l’ont pas encore été. En France, où bon nombre d’accusés de génocide résident, les obstacles matériels et politiques sont nombreux.
Comme l’indique le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) dans un communiqué du 4 février, « le porte-parole du TPIR a annoncé que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda mettra fin à ses activités le 30 septembre 2015. Ce n’est pas la première fois que cette clôture est reportée. On peut cependant croire que cette date sera la bonne. 61 condamnations dont 7 en appel (affaire Pauline Nyiramasuhuko et consorts toujours pas terminée), 14 acquittements mais aussi plus de deux milliards de dollars dépensés (1.644.759.300 dollars au 31 décembre 2011) pour juger moins de 100 personnes qui étaient suspectées de participation au génocide des Tutsi. Un mécanisme de suivi continuera de s’occuper entre autres des affaires confiées à des juridictions nationales. Deux d’entre elles concernent la justice française : Wenceslas Munyeshyaka, prêtre à la paroisse de la Sainte Famille à Kigali en 1994 et actuellement à Gisors, en Normandie, et Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro et résidant près de Troyes, en Champagne Ardennes. On nous annonce la fin prochaine de l’instruction dans ces deux affaires : il serait temps ! »
Cela signifie que les nombreuses personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui se sont réfugiées un peu partout en Europe et en Afrique ne pourront plus être poursuivies que par les juridictions nationales.
Du fait de la proximité des autorités de notre pays avec le régime qui a préparé le génocide puis l’a ensuite mis à exécution, de nombreux génocidaires (des dizaines, voire des centaines) se sont sentis en sécurité sur le territoire français et des suspects se sont insérés dans le tissu social : médecins des hôpitaux, prêtres dans les églises, reconvertis dans la sécurité, etc... Un « pôle crimes contre l’humanité » a été créé au Tribunal de Grande Instance de Paris en janvier 2012. Il a vocation à juger ces génocidaires, et une trentaine de cas sont en cours d’instruction suite à des plaintes déposées principalement par le CPCR. Un seul procès a eu lieu à ce jour devant la justice française. Il a abouti à la condamnation d’un ancien capitaine du Service central de Renseignement rwandais, Pascal Simbikangwa, à 25 ans de prison pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Ce dernier a fait appel, ce qui donnera lieu à un autre procès dont la date n’est toujours pas fixée.
Le premier est la lenteur des procédures compte tenu des trop faibles moyens de ce pôle judiciaire. A raison d’un procès par an, il y en aurait pour 30 ans, ce qui est inadmissible tant pour les victimes que pour une bonne administration de la justice. La position française est intenable car, si la France a remis des suspects de génocide au TPIR, elle a toujours refusé leur extradition vers le Rwanda. Pourtant, selon le CPCR, « les procès au Rwanda auraient eu l’avantage de se dérouler près des lieux où ont été commis les crimes, près des victimes, et pour un coût tellement moindre. De nombreuses démarches ont été faites en direction des ministres français successifs de la Justice. Tous ont pris la peine de répondre, même avec cette fameuse « langue de bois » à laquelle nous sommes habitués : seule madame Taubira est restée silencieuse ! ». Or les règles de droit sont claires : si on n’extrade pas un présumé génocidaire, il faut le juger.
Le second problème est d’ordre matériel : que faire face aux difficultés financières dans lesquelles vont se trouver les associations ou les individus qui portent les plaintes pouvant aboutir à des procès, frais d’enquête préalable, recueil de témoignages, frais d’avocats, alors que tout ceci devrait relever, soit de la responsabilité nationale, soit de la communauté internationale ? Or l’État français, par le biais du Parquet, n’a jamais été à l’origine de poursuites.
Va-t-on continuer à laisser seuls et sans soutien les associations ou les individus qui portent ces plaintes contre des suspects de génocide vivant en France, alors qu’étant donnée la gravité du crime commis, les poursuites relèvent à l’évidence de la puissance publique ?
Si tel était le cas, faudrait-il en conclure que l’engagement de l’Etat français auprès des responsables du génocide en 1994 se perpétue aujourd’hui avec l’inaction des procureurs de la République à l’égard des nombreux présumés génocidaires présents en France, ainsi qu’avec le refus systématique de les extrader vers le Rwanda, à la différence du TPIR et d’autres pays européens ?
Compte tenu du déni dans lequel se trouve le monde politique et militaire en France quant à la politique menée au Rwanda, cette question ne peut pas être écartée.