L’élection présidentielle au Togo intervient quasiment 10 ans jour pour jour après le scrutin
du 24 avril 2005. Une élection de triste mémoire violemment réprimée dans le sang malgré
les mobilisations héroïques des opposants et de la société civile. L’histoire gardera en
mémoire les images d’un militaire togolais s’enfuyant une urne à la main et surtout
l’effroyable bilan humain (500 morts et des dizaines de milliers de réfugiés). Retour sur un
crime demeuré impuni et sur les mobilisations qui l’ont entouré.
Le scrutin présidentiel de 2005 au
Togo a été organisé deux mois et
demi après le décès, le 5 février, de
Gnassingbé Eyadema, dictateur parvenu
au pouvoir en 1967 suite à l’assassinat
(de ses propres mains) de Sylvanus
Olympio en 1963. Cette figure de la
Françafrique a été présentée à sa mort
comme « un ami personnel et donc un
ami de la France » par Jacques Chirac,
alors président de la République
française. Un ennemi de son propre
peuple, en tout cas, pour qui il incarna
pendant 38 ans la tyrannie, la violence et
la corruption.
L’élection du 24 avril 2005 était censée
conclure une période de succession
troublée par le premier coup de force de
l’armée togolaise, qui a d’abord tenté
d’installer par la force le fils du dictateur,
Faure Gnassingbé, avant de renoncer face
aux
pressions
internationales.
La
tentative de succession dynastique,
maquillée juridiquement par le professeur
de droit français Charles Debbasch,
sonna comme un coup de semonce pour
les mouvements d’opposition togolais et
pour les mouvements de défense des
droits de l’Homme ou de lutte contre la
Françafrique qui, comme Survie, avaient
déjà eu par le passé à dénoncer les
mascarades électorales togolaises de
1993, 1998 et 2003.
La campagne électorale, précipitée, fut
ponctuée d’actes d’intimidation, de
répression violente contre les médias, les
partis d’oppositions et, dans la rue, contre
les manifestants, en particulier dans le
quartier de Bè, à Lomé. Le jour de
l’élection, alors que de nombreux
observateurs constatèrent un vote massif
du peuple togolais en faveur de Bob
Akitani, le candidat de l’opposition unie,
le pouvoir en place, à l’issue d’une vaste
opération de manipulation, donna la
victoire à Faure Gnassingbé. Le pouvoir
interrompit les communications avec
l’extérieur. Ce fut l’explosion. Les
démocrates comprirent qu’on leur avait
encore volé la victoire. Le monde entier
les abandonna à ce triste sort, les
chancelleries s’en remettant à l’avis
partial (car influencé par la France) de
l’organisation régionale CEDEAO, et de
sa mission d’ « observation » du scrutin.
Les semaines suivant le vote ne firent
qu’accroître la tension. La répression
violente des initiatives de l’opposition
politique
togolaise
(manifestations,
réunions), le quadrillage des rues, se
solda par 811 morts selon la Ligue
Togolaise des Droits de l’Homme (chiffre
par la suite revu à la baisse par l’ONU,
autour de 500 tués) et des milliers de
blessés. L’exode vers le Ghana et le
Bénin voisins fut massif.
Revenir sur les événement de 2005
permet d’analyser les ressorts d’un
combat héroïque, perdu face à la violence
d’État et au cynisme diplomatique, qui a
permis de construire des solidarités
locales et internationales exemplaires.
Au Togo, dans les pays voisins, en
France, dans les jours qui ont suivi la
mort d’Eyadema un front du refus s’est
mis en branle pour contester les
conditions d’organisation du scrutin
annoncé. Convaincus que la vérité devait
être connue sur la répression à l’œuvre et
sur les risques de fraude électorale, des
représentants d’ONG et d’organisations
religieuses, des militants des droits de
l’Homme, des journalistes se sont
rencontrés, ont échangé à distance,
organisé des mobilisations. Hasard du
calendrier, la sortiedu Dossier Noir de
Survie sur le Togo (rédigé par Gilles
Labarthe, aux Editions Agone) a permis
de donner pendant quelques semaines une
fenêtre médiatique à la dénonciation des
crimes politiques et économiques du
régime Eyadema. A Paris, des Togolais ont acheté cette publication par dizaines
d’exemplaires pour la faire connaître,
l’envoyer au pays.
Au Togo, une coalition
de mouvements de la société civile
togolaise s’est organisée pour déployer
des observateurs dans un grand nombre
de bureaux de vote. Parmi les
organisations mobilisées, on trouvait
notamment la Ligue Togolaise des Droits
de l’Homme (LTDH) et la Commission
Diocésaine Justice et Paix. En France,
Survie, l’ACAT (Action des Chrétiens
pour l’Abolition de la Torture, en lien
avec Justice et Paix), le Comité de
Soutien au Peuple Togolais (créé pour
l’occasion) se sont particulièrement
investis.
Un militant de Survie a été
envoyé au Togo, aux côtés de sept autres
personnes venues de France et l’Allemagne pour participer à une mission
internationale venue soutenir le processus
d’observation citoyenne et pacifique
déployé à travers le pays. Le témoignage
publié par Survie est édifiant. « Je rentre
du Togo et je n’en reviens pas », déclarait
Ardiouma Sirima au moment de la
restitution de la mission au siège de
l’Union InterAfricaine des Droits de
l’Homme (UIDH) à Ouagadougou, sous
le choc des images de la répression et
admiratif du courage des organisations
togolaises qu’il était venu soutenir.
Après le scrutin et les crimes constatés,
un combat a rassemblé tous ces acteurs,
celui de la lutte contre l’impunité.
Le 27 avril 2005, Survie lançait un appel
contre l’impunité signé par une
cinquantaine d’organisations françaises et
africaines,
dont
la
Fédération
Internationale des Droits de l’Homme
(FIDH) et l’UIDH. Un mois plus tard à
peine, un rapport rédigé dans l’urgence,
intitulé « Avril 2005, le choix volé des
Togolais » était publié aux Editions
l’Harmattan. Le président de Survie,
FrançoisXavier Verschave (décédé peu
de temps après) a jeté ses dernières
forces dans sa contribution à ce rapport.
A Paris, le Comité de soutien au peuple
togolais a rassemblé chaque soir pendant
plusieurs semaines des manifestants
devant l’Ambassade du Togo. Le 1er mai,
un imposant cortège d’opposants togolais
s’est mêlé aux rassemblements syndicaux.
Toujours au mois de mai, Survie
organisait la tournée dans toute la France
d’un représentant de la LTDH venu
présenter, rapports et photos à l’appui, le
bilan humain effroyable de la répression.
Pour beaucoup, le scénario de la
succession togolaise, la répression, les
soutiens diplomatiques de Paris, ont
constitué un choc qui aurait du sonner le
glas de la Françafrique.
Des brèches se
sont ouvertes en direction du milieu des
ONG, peu politisées jusque là, et de
certains politiques osant (enfin) s’indigner
de ce qui s’est passé au Togo. On
retiendra ainsi certains propos du « déjà
candidat » Nicolas Sarkozy tenus devant
un public d’étudiants contre la politique
menée par Chirac au Togo. Le traitement
médiatique a été sensiblement différent
de celui des mascarades électorales
qu’avait connues jusque là le Togo, grâce
notamment
aux
images
diffusées
largement de la sinistre conférence de
presse ayant suivi la mort d’Eyadéma et
désigné son fils, et, sur Arte, du militaire
s’enfuyant urne à la main. Sur le plan
international, cette élection a créé des
troubles.
La position française a été
critiquée tant les déclarations officielles
se sont avérées caricaturales. Citons le
ministre des Affaires étrangères, Michel
Barnier, déclarant au lendemain des
élections : « Nous sommes heureux des
conditions globalement satisfaisantes
dans lesquelles se sont déroulées les
élections d’hier malgré un certain nombre
d’incidents », ou Jacques Chirac adressant
au nouveau président togolais ses
« félicitations et [...] vœux de plein
succès ». L’Allemagne a été tentée de ne
pas suivre cette position française. Le
Parlement européen, dans une résolution
du 12 mai, a condamné la répression et
demandé un nouveau scrutin, sans être
suivi par le Conseil de l’UE, paralysé par
la position française. Un peu plus tôt, un
rapport de la délégation européenne à
Lomé évoquant un risque de fraudes et
de manipulations plus grave qu’en 2003
avait déjà été enterré.
Un rapport de l’ONU publié en septembre
2005 a souligné que « les déclarations
d’amitié du Président français » Jacques
Chirac au défunt Président togolais « et
l’appui de la France au processus
électoral ont été politiquement interprétés comme la confirmation du soutien
de la France au pouvoir togolais ».
La suite, on la connaît. Faure est
rapidement accueilli à l’Elysée, par
Jacques Chirac, puis par son successeur,
Nicolas Sarkozy, oublieux de ses
critiques d’antan sur la succession
dynastique togolaise. En 2006, l’Union
européenne reprend sa coopération,
suspendue en 1993 à cause des dérives
du régime Eyadéma père. La coopération
française, qui ne s’était jamais
interrompue, est au beau fixe. En
décembre 2007, selon Le Canard
enchaîné,
Nicolas
Sarkozy
incite
ouvertement Faure à choisir le groupe
Bolloré pour la concession du port en
eaux profondes de Lomé, comme marque
d’ « amitié » avec la France. En 2009 un
partenariat de défense est signé entre la
France et le Togo.
Lors de l’élection de
2010, qui voit la victoire de Faure, la
France poursuit la fourniture de matériels
de sécurité, déjà utilisés dans les
répressions de 2005. En janvier 2013, le
gouvernement togolais envoie les
premières troupes africaines pour
appuyer l’opération Serval au Mali,
s’attirant les bonnes grâces de François
Hollande, malgré la répression en cours
dans le pays dans le contexte tendu de
préparation des élections législatives.
Cette séquence togolaise de 2005 à 2015
est une caricature de ce que la
Françafrique peut produire de pire. A
l’aube de cette nouvelle élection
présidentielle, ne laissons pas le clan
Gnassingbé et ses soutiens internationaux
voler à nouveau le choix des Togolais.