Survie

Négationnisme en RDC Apocalypse Congo II

rédigé le 23 septembre 2023 (mis en ligne le 27 février 2024) - Odile Tobner

La sortie du dernier livre du négationniste Charles Onana est l’occasion de revenir sur l’histoire récente de la RDC. Deuxième partie dans ce numéro.

Le Zaïre en 1994 est un pays en déliquescence qui sombre dans la tourmente à la suite du génocide des Tutsi au Rwanda d’avril à juillet 1994. Ce que nie Onana, rappelons-le. La chute du régime génocidaire, vaincu par le FPR (Front Patriotique Rwandais), sous le commandement de Paul Kagame, est suivie par un déferlement de fuyards, armée en déroute, dirigeants et population confondus, un million et demi de personnes se retrouvent massées à l’est du Zaïre dans des camps de réfugiés.

De Mobutu à Kabila

L’attaque de ces camps, en 1996, au sein desquels se préparait le réarmement des troupes génocidaires, contraint 700 000 personnes à retourner au Rwanda. Voilà qui contredit l’assertion d’Onana selon laquelle Kagame avait organisé « l’expulsion de la population Hutu, majoritaire au Rwanda, en la forçant à prendre le chemin de l’exil » [1]. Le reste des réfugiés se dispersent dans la forêt zaïroise où ils vont disparaître, soit pourchassés, soit de faim. Les attaquants sont des militaires du FPR renforcés de combattants de mouvements d’opposition à Mobutu, constituant l’AFDL, Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo. Le vétéran de la rébellion de 1963-1965, Laurent-Désiré Kabila qui a tenu un maquis résiduel dans les montagnes du Sud-Kivu jusqu’en 1985, se retrouve, fin 1996, à la tête de l’AFDL. Accueilli triomphalement par la population, il atteint Kinshasa le 17 mai 1997 sans coup férir. Mobutu a déjà pris la fuite et Kabila est proclamé Président de la République Démocratique du Congo.
Laurent-Désiré Kabila ne sera pas le Mao Zedong du Congo qu’il ambitionnait d’être. Les « parrains » du Congo, USA, Belgique, France ne sauraient le tolérer et il lui manque l’essentiel : une armée. Il n’a que son nom. Son pouvoir autoritaire, nationaliste, léniniste, est critiqué comme « anachronique » par la presse occidentale. Quand, en 1998, il prétend imposer à ses alliés rwandais et ougandais un go home de fin de partie, il voit se former contre lui, au Kivu, la rébellion du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie). Après avoir échappé à plusieurs complots, il est abattu par un de ses gardes du corps le 16 janvier 2001, ironie de l’histoire, quarante ans exactement après Lumumba, « dans des circonstances non élucidées » puisque l’assassin est lui-même promptement assassiné. La presse occidentale applaudit l’élimination de celui que Che Guevara décrivait comme « le seul homme qui a d’authentiques qualités de dirigeant de masse » [2]. Pas de chance pour le Congo. On installe à sa place le falot, docile mais rapace Joseph Kabila, nouvelle façade de l’impuissance de l’État congolais.

La guerre de tous 
contre tous

Depuis trente ans maintenant, les groupes armés ravagent l’Est du Congo, martyrisant et massacrant les populations civiles. Pour Onana, une seule cause : Kagame, les Tutsi, les Banyamulenge ; 500 pages de ressassement obsessionnel appuyé sur des assertions telles que « un diplomate qui a requis l’anonymat », ou « rapport confidentiel consulté par l’auteur », pour enfoncer d’ailleurs des portes ouvertes. Si le livre d’Onana est consacré aux seules milices émanant du Rwanda, il consiste plus en diatribes répétitives qu’en relation précise des événements.
La présence d’une population rwandaise au Congo est un phénomène ancien. Onana consacre tout un chapitre de son livre [3] à nier cette ancienneté. Il cite un mémoire de parlementaires du Sud-Kivu datant de 1996 selon lequel la population Banyamulenge aurait été installée par le HCR à Mulenge en 1959 et en 1962. Il y a certes dans les années 1960 l’arrivée de réfugiés Tutsi rwandais au Kivu fuyant le régime Hutu installé au pouvoir lors de l’indépendance. Il ne faut pas les confondre avec les éleveurs rwandais qui auraient « selon la majorité des spécialistes de la région » fondé le village de Mulenge au Sud d’Uvira, dans les années 1850 [4] Cette population isolée est pratiquement oubliée dans l’histoire du Congo-Zaïre jusqu’à l’arrivée des réfugiés des années 1960. La rébellion muléliste règne à Uvira en 1962. Certains jeunes Tutsi, comme bien d’autres jeunes issus des ethnies autochtones, s’engagent dans l’APL (Armée Populaire de Libération), ce que Onana ne manque pas d’interpréter comme la main du complot Tutsi.

Instrumentalisations ethniques

Dans les années 1930, les colons belges ont installé au Kiwu des Hutu rwandais comme travailleurs dans leurs plantations et leurs mines. Dans les années 1960, des Tutsi rwandais cherchent refuge dans le Nord-Kivu où ils trouvent des pâturages pour leurs troupeaux. L’ensemble de cette diaspora est désigné sous le nom de Banyarwanda. Leurs représentants sont Hutu, implantés de longue date. Leur nombre est bientôt si important et leur influence grandissante – ils seront même majoritaires en certains endroits du Nord-Kivu - que les Congolais les soupçonneront de vouloir instaurer un Hutuland au Kivu [5] sous forme d’une province autonome au Kivu central. Ce point échappe totalement à Onana. Mobutu instrumentalise la présence des Rwandais, les favorisant, en 1972, quand il veut amoindrir la puissance des ethnies du Kivu qui lui sont hostiles, restreignant leurs droits, en 1978, quand ils deviennent eux-mêmes trop puissants. Mais malgré les frustrations, ressentiments et revendications des uns et des autres, autochtones et immigrés coexistent tant bien que mal au Zaïre. L’irruption des conséquences du génocide des Tutsi du Rwanda accompli par le gouvernement intérimaire des extrémistes Hutu d’avril à juillet 1994 va engendrer au Kivu, sur le territoire d’un État zaïrois à la dérive, un interminable déchaînement de violences indescriptibles faisant d’innombrables victimes. Tous les acteurs rivalisent de cruauté. On peut en distinguer quatre catégories là où Onana n’en voit qu’une seule. Pas une seule phrase dans son livre sur les FDLR (Front Démocratique de Libération du Rwanda). Cette milice constituée d’abord des ex-FAR Hutu rwandais, armée génocidaire ayant fui le Rwanda en 1994, se maintient par les armes dans certaines parties du Kivu, rencontrant parfois (Masisi, Walikalé) une certaine tolérance dans la population, où se trouvent de nombreux Hutu congolais arrivés dans les années trente du vingtième siècle. Par contre, dans le territoire de Walungu, les bandes FDLR se sont livrées aux pires violences contre la communauté des Bashi pour s’emparer de leurs terres [6]. Des opérations ont été menées en 2009 conjointement par la RDC, le Rwanda et la MONUC pour désarmer les FDLR avec un « succès mitigé » [7]. Elles ont été marquées par des crimes contre l’humanité commis tant par les FDLR que par les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) et leurs alliés.

Ingérence rwandaise

Le deuxième acteur est le Rwanda. Kagame revendique le droit d’intervenir sur le territoire du Congo par la présence des opposants armés à son régime qui s’y trouvent, ce qui n’inclut pas l’impunité pour les crimes contre l’humanité commis à cette occasion. En 1996, l’AFDL, composée de soldats de l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) et d’opposants congolais à Mobutu, prend d’assaut les camps de réfugiés Hutu (voir supra) au prix de nombreuses victimes indistinctement désignées comme génocidaires. Quand Laurent Kabila « remercie » ses alliés rwandais et ougandais, ceux-ci soutiennent la formation du RCD-Goma (Rassemblement congolais pour la Démocratie) par des Tutsi i congolais pour lutter contre lui. Ce groupe armé commet de graves exactions notamment en 2002 à Kisangani [8]. En 2003 un accord de paix amène le RCD à un « mixage » de ses combattants avec l’armée congolaise. C’est alors que Laurent Nkunda, ancien combattant de l’APR, de l’AFDL puis du RCD-Goma, devient général de l’armée congolaise. Dès 2004, il prend le maquis au Nord-Kivu et se signale par les violences lors de la prise de Bukavu en juin 2004. En 2006, il fonde le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Les crimes commis par ce groupe armé amènent Kagame à l’exfiltrer, lors d’un accord de paix avec Joseph Kabila en 2009. Cet accord intègre à nouveau les troupes du CNDP dans l’armée congolaise. En 2012, un groupe d’officiers issus de ces troupes se mutine et crée le M23 qui occupe les collines au nord de Goma. Depuis novembre 2022, les violences ont redoublé, contraignant à l’exode la population civile [9].

Le troisième groupe d’acteurs est constitué par les multiples milices d’autodéfense locales souvent dénommées Maï Maï par référence à la rébellion muléliste des Simbas en 1963-1965, dont c’était le cri de ralliement [10]. Dispersées, ces milices, censées défendre les populations locales, se livrent à de cruelles exactions pour le contrôle des sites miniers. Composées de combattants souvent très jeunes, elles n’ont pas de peine à recruter par l’attrait du sentiment de puissance que donne une arme, même rudimentaire, et par l’alternative enviable au statut de « creuseur » esclave, réservé aux jeunes dans la misère [11].

Une guerre de pillage

Le quatrième acteur est l’armée congolaise elle-même, qui tient plus de la bande armée que d’une institution nationale de défense. Son premier patron, Mobutu, a été le destructeur de l’État du Congo. Quand le régime a été attaqué, ce sont les « parrains », Américains, Belges et Français qui l’ont sauvé, les FAZ (Forces armées zaïroises) achevant le travail par des destructions et des massacres. Cela n’a guère changé avec les FAC ou les FARDC, dont l’activité consiste plus à racketter la population qu’à la défendre et qui participent aux trafics et aux atrocités [12].
Ce qui alimente les guerres interminables, c’est l’exploitation des ressources du Congo, donc le combat pour le contrôle et l’occupation des sites miniers. Au tournant du deuxième millénaire, l’explosion mondiale de l’usage des PC et des téléphones mobiles a multiplié à l’infini les besoins en coltan, dont la moitié des gisements mondiaux se trouve dans l’est de la RDC. La coïncidence de cette circonstance planétaire avec l’éclatement des conflits locaux a surgi dans un pays, le Congo, qui n’a jamais connu que les trafics en fait d’économie. Sous Mobutu, une infime partie du commerce était régulé par l’État. Le Kivu a plongé dans l’apocalypse, avec ses quatre cavaliers : la Guerre, la Faim, la Maladie (irruption de foyers d’Ebola) [13], la Bestialité (viols, tortures).
Le livre d’Onana brille par l’absence de tout ce qui peut un tant soit peu éclairer la tragédie de l’est de la RDC : le funeste héritage de Mobutu, la multiplicité des acteurs et l’opportunité de la ruée sur des ressources convoitées, qui rend l’être humain pire que la bête la plus sanguinaire.

Odile Tobner

[1C. Onana : Holocauste au Congo p. 39

[2Passages de la guerre révolutionnaire, p. 248

[3Holocauste au Congo : Les « Banyamulenge » ou l’histoire fabriquée du Kivu, p. 243 - 281

[4JeanClaude Willame : Banyarwanda et Banyamulenge, violences ethniques et gestion de l’identitaire au Kivu; Cahiers africains n° 25, 1997. Institut africain CEDAF Bruxelles ; L’Harmattan, Paris. p. 78 79.

[5id. p. 50 51

[6JeanClaude Willame La guerre du Kivu p. 59

[13news.un.org/fr/story/2022/08/1125782

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 331 - octobre 2023
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