Survie

Coopération sécuritaire avec un régime criminel

rédigé le 2 avril 2015 (mis en ligne le 21 août 2017) - Thomas Noirot

En août 2010, une vidéo avait fait le
buzz
sur les réseaux sociaux
d’Afrique francophone (cf. Billets
n°194, septembre 2010
). On y voyait le
lieutenant­-colonel Romuald Létondot,
coopérant militaire français, s’en prendre
violemment à un journaliste togolais
fautif de l’avoir photographié auprès de
gendarmes
togolais,
une
scène
heureusement filmée par un autre
journaliste : « Je m’en fous que tu sois de
la presse. Tu enlèves ça. Tu enlèves la
photo s’il te plaît, sinon c’est moi qui le
prends ! Alors tout de suite ! (...) Tu veux
qu’on te donne un coup sur l’appareil ou
quoi ? (...) [S’adressant aux gendarmes
togolais] Tu le mets en taule s’il part, tu
le mets en taule. [Au journaliste] Tu sais
qui je suis ? Je suis le conseiller du chef
d’état-­major de l’armée de terre, OK ?
Est­-ce que tu veux que j’appelle le RCGP
pour foutre un peu d’ordre là­-dedans ?
 ».
Le RCGP, c’est le Régiment des
Commandos de la Garde Présidentielle.
Rien de plus évident pour ce militaire
alignant plus de vingt années de service,
dont plusieurs en coopération et deux au
Togo, que de mobiliser le cœur de
l’appareil sécuritaire. Le déballage dans
les médias africains a poussé le ministère
de la Défense, qui « ne se reconn[aissait]
absolument pas ni dans les propos ni
dans le comportement de cet officier
français
 » (LExpress.fr, 11/08/10) à
rappeler précipitamment son coopérant –
dont
la
mission
se
terminait
officiellement 2 semaines plus tard – et à
lui infliger, ô sanction, une mise à pied de
10 jours, pour avoir « porté atteinte au
renom de l’armée
 ».

L’arbre qui cache la forêt

En France, où ce sont surtout les
dénégations et les propos du militaire
selon lesquels il se serait « fait piéger »
qui ont été repris, « l’incident » a été vite
oublié, et le lieutenant­-colonel poursuit sa
carrière,
aujourd’hui
en
Nouvelle
Calédonie. Si le dédain colonial du
propos a pu chatouiller quelques oreilles
sensibles, le fait qu’un gradé français
conseille les plus hautes autorités
militaires d’une dictature n’a finalement
pas choqué. On peut soutenir un appareil
répressif, mais discrètement s’il vous
plaît. Et au Togo, où le photographe s’est fait copieusement tabasser par les
gendarmes 15 jours plus tard, la
coopération sécuritaire a pu suivre son
cours. Le nouvel accord de défense
France­-Togo, signé en 2009, est entré en
vigueur en septembre 2011. Débarrassé
des clauses secrètes autorisant la France à
intervenir directement pour sauver le
régime, il prévoit tout de même, à son
article 4, des activités d’« organisation,
équipement et entraînement des forces, le
cas échéant par un soutien logistique et
des
exercices
conjoints

 »
et
d’« organisation et conseil aux forces
mettant en œuvre des actions de
formation, de soutien technique et la mise
à disposition de coopérants militaires
techniques
français

 ».
L’avis
parlementaire (n° 3291) rédigé par le
député Christophe Guilloteau en 2011
,
précise qu’il s’agit d’« une coopération de
défense classée prioritaire, puisque ce
pays occupe le troisième rang des
partenaires de la France, avec
3,6 millions d’euros inscrits pour 2011
 »
avec, entre autres, « la mise à disposition
de 14 coopérants permanents
 » et un
« budget total des actions de formation de
défense menées au Togo (...) de 631 788
euros
 » (p. 15). Sans compter les retraités
de l’armée française : le général Raymond
Germanos, ex­-chef de cabinet du ministre
de la Défense Charles Millon et ex­-conseiller militaire de Paul Biya au
Cameroun (et condamné en 2010 pour les
milliers de photos pédophiles en sa
possession), œuvre depuis octobre 2013
comme conseiller militaire de Faure
Gnassingbé (Lettre du Continent,
31/12/13).
Mais le « savoir­-faire français » vanté par
Michèle Alliot­-Marie en pleine révolution
tunisienne en 2011
, ne suffit pas : il faut
aussi de l’argent. En 2010, à la veille de la
dernière
mascarade
d’élection
présidentielle, la France avait ainsi
co-financé à hauteur de 500 000 €, avec
l’Union européenne, l’achat d’équipement
sécuritaire pour la police et la
gendarmerie
togolaises
(auprès
d’entreprises françaises, bien sûr). En
novlangue parisienne, on appelle cela
« sécurisation des cycles électoraux au
Togo
 » (Lettre du Continent, 7/01/10). Et
combien pour cette année ?

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 245 - avril 2015
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