L’optimisme dont aime à faire preuve le FMI pour l’avenir de l’Afrique
subsaharienne, se fondant sur la vigueur de la croissance
économique dans cette partie du monde, semble particulièrement
déplacé à un moment où le continent au contraire s’enfonce dans des
conflits d’un autre âge. Il y a là un paradoxe qui demande à être expliqué.
Il est incontestable que le continent est une zone propice au capital
et à la croissance exponentielle des bénéfices des investisseurs privés.
Outre les domaines hérités de l’exploitation coloniale, mines, forêts,
plantations, la privatisation des services publics et des réseaux d’eau,
d’électricité et de transports, imposée par les plans d’ajustements
structurels de la Banque Mondiale depuis les années 90, a offert des
secteurs vitaux de l’économie à la voracité des capitaux étrangers. Ces
marchés se négocient entre initiés dans le secret des palais
présidentiels, au détriment des peuples mis devant le fait accompli.
Un collectif de militants béninois, la Convention Patriotique des
Forces de Gauche, vient de signaler l’un de ces marchés passé on ne
sait comment et dont les conséquences engagent gravement l’avenir
de plusieurs pays. En 2007, dans une perspective d’intégration
régionale, le Bénin, le Burkina-Faso, le Niger et la Côte d’Ivoire
décident la construction d’une boucle ferroviaire moderne reliant
Cotonou, Niamey, Ouagadougou et Abidjan. Il s’agit de réhabiliter les
voies existantes et d’en construire de nouvelles aux normes UIC en
vigueur dans la plupart des pays du monde, avec un écartement
standard des rails, soit 1 435 mm. Des études préalables sont réalisées,
grâce notamment à un financement de la banque islamique de
développement et des bailleurs de fonds, chinois, nigérians, se
présentent. En 2010 la société PIC de Samuel Dossou, homme
d’affaires gabono-béninois, remporte l’appel d’offres pour la jonction
Cotonou-Niamey.
Mais voici qu’en novembre 2013 les chefs d’État du Bénin et du Niger,
balayant tout le travail déjà accompli, confient dans un mémorandum «
d’entente » le soin de construire la boucle ferroviaire au groupe Bolloré,
qui n’est pourtant pas spécialisé dans la construction mais dans
l’exploitation. Plus surprenant, le projet Bolloré prévoit des rails à
écartement métrique - écartement de 1000 mm -, en usage dans les
colonies françaises depuis le XIXème siècle, ce qui signifie, selon ces
militants béninois, « nous imposer une ligne vieille, non compétitive
pouvant poser d’énormes problèmes d’incompatibilités avec le réseau
ferroviaire du Nigeria et nécessitant des réfections tous les cinq ans
avec des surcoûts artificiels que l’on peut imaginer et ceci au profit de
qui l’on sait ».
Progressivement en effet, les différents pays du monde s’alignent sur
la norme standard lors de la réfection de leurs lignes ou la construction
de lignes nouvelles. Pendant ce temps les réseaux ferrés africains
concédés à Bolloré, notamment au Cameroun et en Côte d’Ivoire, sont
rénovés ou construits selon une norme coloniale qui les rend captifs du
fournisseur et obère pour des décennies le développement
économique et humain des pays concernés.
Ce seul exemple confirme la perpétuation du pacte colonial, jusque
dans des choix techniques qui ne sont pas neutres sur le plan politique.
Si l’activité africaine de Bolloré est, selon Capital.fr, de loin la plus
rentable du groupe, représentant seulement 25% du chiffre d’affaires
mais rapportant 80% des bénéfices, pour ses peuples l’Afrique est tout
sauf un pays de Cocagne. Sans véritable souveraineté, la croissance
économique ne se transformera jamais en développement des peuples.