Survie

Vers un nouveau simulacre d’élection présidentielle

rédigé le 1er avril 2015 (mis en ligne le 5 octobre 2015) - Augustin Taupenas

Fronde sociale à son paroxysme avec des grèves à répétition dans le public et le parapublic,
réformes constitutionnelles et institutionnelles repoussées aux calendes grecques, fichier
électoral fortement contesté, prémices de violences... Tel est l’inquiétant décor dans lequel
le Togo se prépare à la présidentielle du 25 avril 2015.

Le Togo jouit d’une sulfureuse
réputation en matière d’élections.
Depuis les indépendances en 1960,
ce petit pays de l’Afrique de l’ouest est
marqué par des violences électorales
ponctuées par les massacres de civils en
avril 2005, après la victoire contestée de
Faure Gnassingbé à la présidentielle.

Impossibles réformes

Afin de retrouver une légitimité et de
rassurer l’opinion, Faure Gnassingbé
conseillé par des mercenaires en col blanc
n’a pas été avare de promesses pour plus
de liberté, de transparence, de démocratie
et de justice dans son pays. L’opposition
et le pouvoir signèrent en 2006, l’Accord
politique globale (APG) conformément
aux vingt­deux engagements souscrits le
14 avril 2004 par les autorités togolaises
devant l’Union européenne (UE). Ce
document était censé matérialiser la
réconciliation nationale et combler le
déficit démocratique.

Près de dix ans après, le régime de Faure
Gnassingbé n’a jamais appliqué les
réformes de fond : le mode de scrutin est
toujours à un tour, le mandat présidentiel
illimité et les élections locales
inenvisagées. En juin 2014, un débat à
l’Assemblée nationale togolaise autour
d’un projet de loi sur les réformes déposé
par le gouvernement a suscité une lueur
d’espoir. Espoir vite douché par le rejet de
la majorité acquise au pouvoir.
« Nous avons été d’autant plus frustrés
de voir (...) les élections locales
repoussées à un horizon incertain. Et
d’autant plus surpris, de voir (...) sous
nos yeux incrédules, les députés de la
majorité rejeter le projet de réforme constitutionnelle déposé par le gouvernement, alors même que cette réforme avait été annoncée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale devant cette même assemblée nationale quelques mois plus tôt
 », s’était étranglé Nicolas Warnery qui était encore ambassadeur de France au Togo pour quelques semaines. Un commentaire inhabituel au point que son successeur, Marc Fonbaustier, s’était vu recommander par le Quai d’Orsay d’être « discret et respectueux des réalités locales ».

Pas de justice, toujours plus d’impunité

Par ailleurs, en mai 2009, une Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) a été mise en place par les autorités togolaises. Elle vise à « proposer, à travers les mécanismes de la justice transitionnelle, des voies et moyens susceptibles de favoriser la cohésion nationale en faisant la lumière sur les causes des violences et conflits récurrents » de 1958 à 2005.

Cette commission, dirigée par Monseigneur Nicodème Barrigah, a remis ses conclusions en avril 2012, dans lesquelles les causes des violences, les victimes et les auteurs sont clairement identifiés. Des recommandations sont alors faites pour mettre fin à l’impunité.
« Celui qui a été victime d’une violence a
le droit de savoir les causes et les
motivations de cette violence. La société a
elle aussi besoin de savoir les mécanismes des violences qui ont provoqué un choc traumatique parmi l’injustice ses membres et engendré la haine, l’injustice et l’intolérance
 », a reconnu le président togolais, Faure
Gnassingbé lors de la remise officielle du
rapport de la CJVR. « C’est avec courage
et lucidité qu’il nous faudra lire, avant de
les tourner, les pages de cette mémoire
controversée pour éviter le retour des
vieux démons
 », avait­-t­-il promis.

Une bonne volonté du pouvoir ? Que
nenni ! La grande partie des
recommandations de ce rapport (les plus
importantes donc) est restée dans les
tiroirs. Pis encore, certains proches de
Faure Gnassingbé soupçonnés d’atteintes
aux droits humains sont promus pendant
que d’autres se pavanent au vu et au su
des victimes et de leurs familles. Les cas
du Major Kouloum N’ma Bilizim et du
lieutenant­colonel Alex Massina Yotroféi
sont les plus patents.

Le premier est fortement indexé comme ayant conduit les massacres de 2005 à Atakpamé, une ville située à 150 km au nord de Lomé, la capitale togolaise.
« 2500 coupes­-coupes auraient été achetés à cet effet par l’armée. Le deuxième dispositif mis en place aurait été constitué par la nomination d’un Officier chargé d’encadrer les soldats devant porter un appui aux militants et aux milices (...). Au niveau régional, les troupes seraient sous le commandement du Major Kouloum qui a semé la terreur dans la préfecture de l’Ogou et ses environs », peut-­on lire dans le rapport de l’ONU sur les atrocités commises avant, pendant et après la présidentielle de 2005 au Togo.

Le second est accusé de tortures sur les détenus dans l’affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat impliquant Kpatcha Gnassingbé, demi­-frère du président togolais, par des
éléments de l’Agence nationale de renseignement (ANR) dont il était le directeur. Un rapport de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a établi les faits et situé les responsabilités. Malheureusement, le document a été édulcoré avant d’être publié sur le site officiel du Togo et le
président de cette institution, Christian
Koffi Kounté, vit depuis février 2012 en
exil en France. « Lorsque vous avez
résisté, plusieurs jours, aux pressions de
certains conseillers du président et que
vous avez pris une décision mettant en
cause de hautes personnalités [officiers
des services de renseignements et de la
gendarmerie], il semble prudent de se
mettre à l’abri
 », se justifie­-t­-il dans une
interview à Jeune Afrique (2/03/2012) au
titre révélateur, « Tortures au Togo : Les
brûlantes vérités de Koffi Kounté »
.

En octobre 2014, Massina Yotroféi est
pourtant nommé directeur de la
Gendarmerie nationale dont la FOSEP
2015 (Force de sécurité pour la
présidentielle de 2015) est chargée de
sécuriser le prochain scrutin. Vive
l’impunité !

Fichier électoral corrompu

Aux lendemains des élections que le
Togo a organisées depuis 2005, la
récurrente question de la fiabilité du
fichier électoral s’est toujours posée.

Plusieurs rapports ont pointé du doigt les
failles dans cette partie clé d’un processus
électoral avec des recommandations. Et, à
chaque fois, Lomé prend l’engagement
d’apurer le fichier des « centaines de
milliers de doublons, de morts, de
mineurs et d’étrangers
 » qu’il contient.

L’opposition n’a cessé de demander
l’audit du fichier électoral. Mais, rien n’y
fait, les élections sont encore et toujours
organisées sur la même base.

Depuis quelques mois, Alberto Olympio,
président du Parti des Togolais (PT), a
accentué la contestation. Expert en
informatique, il a fait de l’audit de ce
fichier, son cheval de bataille dans la
course à la magistrature suprême.
Conformément à l’article 60 du code
électoral, il a demandé l’accès aux bases
de données. Sans succès. Il n’a pas
déposé sa candidature.

Malgré son abdication, M. Olympio a
présenté le 25 mars 2015 à Lomé, les
preuves de la corruption du fichier
électoral. Les conclusions de son
expertise du fichier qu’il ne s’est pourtant
procuré qu’au format PDF jettent du
discrédit sur le processus. «  L’analyse du
fichier électoral ayant servi aux élections
législatives de 2013 fait ressortir 259.735
doublons sur 2.957.018 électeurs, soit
environ 8,78%. On constate également
que la région de la Kara [présentée
comme le fief du pouvoir, NDLR] compte
le plus de doublons que toutes les autres
régions, soit 13% du nombre des
électeurs de la zone
 », révèle­-t­-il. « En
outre, les électeurs de la tranche d’âge 65
ans et plus, représentent 4,13% du corps
électoral en 2013 alors que d’après les
chiffres de la Banque mondiale, cette
tranche d’âge ne représente que 2,7% de
la population togolaise
 », a­-t­-il poursuivi.
Les morts voteraient­-ils ?

M. Olympio a également démontré que
les anomalies dans le fichier électoral
dépendaient du caractère du scrutin.
« Nous avons remarqué qu’à chaque élection présidentielle le nombre d’électeurs croît considérablement mais décroît lors des législatives. En 2005, lors de la présidentielle, le nombre d’électeurs est estimé 3.126.728 contre 2.927.664 lors des législatives d’octobre 2007.
Paradoxalement, un enregistrement massif de la population en âge de voter avait été constaté pour ce scrutin. En 2010, le fichier électoral passe à 3.277.292 électeurs pour descendre à 3.044.322, soit une perte sèche de 232.900 électeurs lors des législatives de 2013. Pour la présidentielle de 2015, la CENI table sur 3.500.000 électeurs, soit une augmentation de 455.678 électeurs
 », martèle­-t­-il.

Avant cette sortie médiatique, Jean-­Pierre
Fabre, président du parti Alliance
nationale pour le changement (ANC) et
candidat de la coalition nommée Combat
pour l’alternance politique en 2015
(CAP 2015), avait déjà déposé plainte
contre la société Zetes pour faux en
informatique et usage de faux. Cette
entreprise belge spécialisée en enrôlement
biométrique des électeurs, est le
fournisseur du matériel électoral de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) du Togo.

Devant l’ampleur de la contestation, le gouvernement togolais a demandé l’expertise de l’Organisation interna­tionale de la francophonie (OIF). Cette institution a envoyé le 24 mars 2015, deux experts électoraux au Togo afin de résoudre cette crise de confiance entre les acteurs politiques togolais.

La Communauté économique de la sous­-région ouest africaine (CEDEAO), par l’intermédiaire de John Dramani Mahama, a arraché 10 jours de report de la présidentielle initialement prévue le 15 avril 2015. Pas assez !

Front social en ébullition

Assemblée de la Synergie des travailleurs du Togo (STT), Photo Maxime Domegni.

Parallèlement à ces considérations électorales, un bras de fer oppose les syndicats et le gouvernement, depuis 2013. A travers une plateforme de revendications en 8 points, la Synergie des travailleurs du Togo (STT) réclame le redressement de la grille
et l’augmentation de la valeur indiciaire du salaire des fonctionnaires. Elle lance
régulièrement des mots d’ordre de grève
et organise des sit­-in largement suivis
dans les secteurs publics et parapublics.
Une situation qui perturbe fortement les
cours et entraîne des fermetures
temporaires d’écoles puisque sur les plus
de 500.000 fonctionnaires que compte le
Togo, plus de 50% sont des enseignants.
Le secteur sanitaire est aussi très touché
par ce débrayage.

Devant l’échec des discussions, le gouvernement a affirmé que la grève de
la STT était « sortie de son cadre syndical » et était, par conséquent, « illégale ». Pis encore, le ministre des Enseignements primaire et secondaire, Florent Maganawé a envoyé en février 2015, une note circulaire aux directeurs d’établissement leur enjoignant de recenser les grévistes en vue de leur
remplacement par des volontaires. Il n’en fallait pas plus pour enflammer le front social : durcissement des mouvements de grève, violences dans plusieurs villes du Togo entre élèves, parents d’élèves, enseignants et forces de l’ordre.

Le 16 mars 2015, des affrontements ont éclaté à Dapaong (extrême nord du pays)
lors d’une manifestation d’élèves. Plusieurs bâtiments officiels ont été saccagés. Le 25 mars 2015, l’armée aurait été sollicitée à Gléï (centre du pays). Un communiqué du gouvernement a fait état de plus de 40 blessés dont deux graves, ce qui laisse présager pire.

Il apparaît donc évident que les con­ditions ne sont pas réunies pour assurer une élection transparente au Togo. A l’instar de son défunt père, le dictateur Gnassingbé Eyadéma, l’acharnement de Faure Gnassingbé à maintenir le scrutin relève du suicide collectif. Malgré les signaux inquiétants, le Togo s’achemine inéluctablement vers une présidentielle aux résultats connus d’avance et à l’issue de laquelle, qui perd, gagne.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 245 - avril 2015
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