Non, ceux qui meurent par milliers en Méditerranée ne sont pas des
« migrants qui cherchent une vie meilleure » mais des gens en
danger de mort dans des pays livrés à des bandes armées ou des
pays mouroirs où l’« espérance de vie » est très réduite. Il ne s’agit pas
d’individus épris d’aventure, qui ne prennent généralement que des
risques calculés, mais de familles entières, y compris les nourrissons et
les femmes enceintes, réduites au désespoir, fuyant l’horreur au risque de
se précipiter dans une autre horreur.
Pourtant ils représentent pour l’Europe non des êtres humains en
danger à sauver à tout prix mais une menace à combattre quel qu’en
soit le prix. C’est ce qui ressort de la réunion extraordinaire des
dirigeants européens qui s’est tenue le 23 avril, et a conclu à la
nécessité d’empêcher les bateaux de quitter les côtes libyennes, au
besoin en les bombardant - c’est ce qu’ils savent faire le mieux. Il est
hors de question de permettre aux réfugiés de franchir la Méditerranée
en sécurité. Il s’agit de les contraindre à mourir sans bruit, en des pays
où personne ne s’est jamais intéressé à leur sort, et à nous épargner le
spectacle de leurs naufrages.
L’affirmation que l’Europe n’est pour rien dans les raisons qui
poussent ces réfugiés à fuir leurs pays et n’aurait donc aucune
obligation à leur égard, est trop insistante pour ne pas paraître
suspecte. En 2011, l’OTAN lance plus de 200 missiles et effectue 7000
frappes aériennes sur la Libye. Le pays est plongé dans le chaos et le
nombre des réfugiés qui transitent par la Libye est passé de quelques
centaines à des dizaines de milliers. L’Europe n’y est pour rien ?
Depuis des décennies nombre de pays africains sont sous la coupe
de régimes dictatoriaux armés, soutenus, cautionnés par les pays
occidentaux. Ils livrent leurs pays au pillage des multinationales,
appliquent les oukases de la banque mondiale, maintenant l’immense
majorité de leur population au-dessous du seuil de pauvreté. L’Europe
n’y est pour rien ?
Les accords de partenariat économique (APE), imposés par l’Europe
aux pays du Sud, ruinent les producteurs locaux. Le cours du coton, du
cacao, de l’arachide est soumis aux spéculations boursières de
Londres, Paris ou Francfort. Les trusts occidentaux s’approprient des
centaines de milliers d’hectares, réduisant les paysans à l’état de quasi
servage. L’Europe n’y est pour rien ?
Le franc CFA, monnaie de quinze pays de l’Afrique subsaharienne,
dont la plupart stagnent dans la pauvreté, est lié à l’euro et ces pays
doivent déposer leurs réserves financières dans les coffres de la
Banque Centrale Européenne via le Trésor français. L’Europe n’y est
pour rien ?
L’Europe intervient militairement, politiquement, économiquement,
monétairement, dans le gouvernement des pays africains, parce que sa
propre prospérité en dépend, et toutes les conséquences désastreuses
pour les Africains seraient à imputer à la fatalité ? Les seuls coupables
seraient ceux qui leur vendent la promesse de sortir de l’enfer ? C’est
avec cette imposture qu’on berce l’opinion publique et qu’on cache le
crime contre l’humanité perpétré par une ingérence coloniale féroce,
affublée qui plus est d’oripeaux humanitaires.
Dans le cas de la France, autant son ingérence en Afrique
francophone est envahissante, multiforme et délétère, autant elle est
en pointe dans la guerre aux « immigrants illégaux ». C’est ce qu’on
appelle vouloir le beurre et l’argent du beurre.