Survie

Pas d’effets sans causes

rédigé le 5 mai 2015 (mis en ligne le 14 mai 2015) - Odile Tobner

Non, ceux qui meurent par milliers en Méditerranée ne sont pas des « migrants qui cherchent une vie meilleure » mais des gens en danger de mort dans des pays livrés à des bandes armées ou des pays mouroirs où l’« espérance de vie » est très réduite. Il ne s’agit pas d’individus épris d’aventure, qui ne prennent généralement que des risques calculés, mais de familles entières, y compris les nourrissons et les femmes enceintes, réduites au désespoir, fuyant l’horreur au risque de se précipiter dans une autre horreur.

Pourtant ils représentent pour l’Europe non des êtres humains en danger à sauver à tout prix mais une menace à combattre quel qu’en soit le prix. C’est ce qui ressort de la réunion extraordinaire des dirigeants européens qui s’est tenue le 23 avril, et a conclu à la nécessité d’empêcher les bateaux de quitter les côtes libyennes, au besoin en les bombardant - c’est ce qu’ils savent faire le mieux. Il est hors de question de permettre aux réfugiés de franchir la Méditerranée en sécurité. Il s’agit de les contraindre à mourir sans bruit, en des pays où personne ne s’est jamais intéressé à leur sort, et à nous épargner le spectacle de leurs naufrages.

L’affirmation que l’Europe n’est pour rien dans les raisons qui poussent ces réfugiés à fuir leurs pays et n’aurait donc aucune obligation à leur égard, est trop insistante pour ne pas paraître suspecte. En 2011, l’OTAN lance plus de 200 missiles et effectue 7000 frappes aériennes sur la Libye. Le pays est plongé dans le chaos et le nombre des réfugiés qui transitent par la Libye est passé de quelques centaines à des dizaines de milliers. L’Europe n’y est pour rien ? Depuis des décennies nombre de pays africains sont sous la coupe de régimes dictatoriaux armés, soutenus, cautionnés par les pays occidentaux. Ils livrent leurs pays au pillage des multinationales, appliquent les oukases de la banque mondiale, maintenant l’immense majorité de leur population au-dessous du seuil de pauvreté. L’Europe n’y est pour rien ?

Les accords de partenariat économique (APE), imposés par l’Europe aux pays du Sud, ruinent les producteurs locaux. Le cours du coton, du cacao, de l’arachide est soumis aux spéculations boursières de Londres, Paris ou Francfort. Les trusts occidentaux s’approprient des centaines de milliers d’hectares, réduisant les paysans à l’état de quasi servage. L’Europe n’y est pour rien ?

Le franc CFA, monnaie de quinze pays de l’Afrique subsaharienne, dont la plupart stagnent dans la pauvreté, est lié à l’euro et ces pays doivent déposer leurs réserves financières dans les coffres de la Banque Centrale Européenne via le Trésor français. L’Europe n’y est pour rien ?

L’Europe intervient militairement, politiquement, économiquement, monétairement, dans le gouvernement des pays africains, parce que sa propre prospérité en dépend, et toutes les conséquences désastreuses pour les Africains seraient à imputer à la fatalité ? Les seuls coupables seraient ceux qui leur vendent la promesse de sortir de l’enfer ? C’est avec cette imposture qu’on berce l’opinion publique et qu’on cache le crime contre l’humanité perpétré par une ingérence coloniale féroce, affublée qui plus est d’oripeaux humanitaires.

Dans le cas de la France, autant son ingérence en Afrique francophone est envahissante, multiforme et délétère, autant elle est en pointe dans la guerre aux « immigrants illégaux ». C’est ce qu’on appelle vouloir le beurre et l’argent du beurre.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 246 - mai 2015
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