Pour tenter de gonfler artificiellement le montant de son Aide publique au développement (APD), la France aimerait y inclure une partie de ses dépenses militaires...
Au sein de l’OCDE, le Comité d’Aide
au Développement (CAD),
composé des 29 pays figurant
parmi les principaux donateurs historiques
(donc sans la Chine, qui n’est pas membre
de l’OCDE), édicte les règles auxquelles
sont censés se conformer les pays membres
s’agissant du calcul de l’aide au
développement. A ce jour, celles-ci sont
assez restrictives en matière militaire : il
n’est possible de comptabiliser que le
financement des missions de maintien de la
paix de l’ONU dans la limite de 7 % ainsi
que « les dépenses afférentes à l’utilisation
des forces armées des donneurs pour
acheminer l’aide humanitaire », mais sont
exclus de ce domaine « le financement de
matériels ou de services militaires » ou
« les activités de lutte contre le
terrorisme », comme la majeure partie des
dépenses militaires, à l’exception de
« certaines activités utiles au
développement et répondant à une
définition bien précise qui sont menées
dans le cadre d’opérations de maintien de
la paix ». La majeure partie de la
coopération militaire ne peut pas à l’heure
actuelle être comptabilisée en APD,
notamment la mise à disposition
permanente d’officiers français qui, au nom
d’un prétendu renforcement de l’État de
droit, occupent des postes stratégiques de
conseillers au sein d’armées de dictatures
violentes (Togo, Gabon, Tchad, Guinée
Equatoriale, etc).
Mais certaines restrictions pourraient disparaître. Après avoir échoué à faire
financer ses opérations extérieures (Opex) au Mali et en Centrafrique par l’Union européenne, après avoir vu recaler sa proposition d’exclure le coût des Opex du calcul des déficits publics (officiellement plafonnés à 3 % du produit intérieur brut
depuis le traité de Maastricht), la France (mais aussi la Belgique ou le Portugal) fait pression au sein du CAD pour une modification des règles qui lui permettrait d’inclure une partie de ses expéditions militaires dans le calcul de son APD. « Nous essayons de mettre en place un nouvel indicateur, "le soutien officiel total au développement" qui viendra en complément de l’indicateur de l’aide publique au développement, mais prendra en compte plus largement certains types de financements, tels que les fonds privés ou les dépenses d’intervention militaire pour le maintien de la sécurité », reconnaît Erik Solheim, président du CAD (Euractiv.fr, 20/11/2014). Les discussions portent sur la nature des activités militaires qui pourraient être intégrées.
En février, la secrétaire d’État au développement, Annick Girardin, affichait
son optimisme : « Nous avons discuté de ce volet sécuritaire à l’OCDE et de plus en plus de pays sont sensibles à nos arguments. Je pense qu’on peut y arriver »
(Euractiv.fr, 17/02). Mais si l’on en croit Julia Benn, Chef de la division des statistiques et du financement du
développement de l’OCDE, « les membres du CAD restent très prudents et je ne vois pas comment il pourrait y avoir un élargissement majeur de l’APD aux
opérations militaires bilatérales ». Sans compter que les autorités françaises n’en
restent pas là : « Paris propose de changer les règles de l’OCDE qui interdisent de
financer des équipements militaires au titre de la formation des armées africaines », rapporte Le Monde (17/12).
Mais il semble « difficile de comptabiliser l’achat d’armes et de matériel militaire
comme une dépense de solidarité internationale » avait répondu Erik
Solheim (Euractiv.fr, 17/02). Les autres pays européens ne comprennent décidément rien en matière de « développement ». C’est sans doute qu’ils n’ont pas la chance d’avoir autant de militaires qui se rêvent encore en gouverneurs coloniaux...
Dans le fourre-tout des programmes budgétaires censés organiser les
contributions à la « politique française en faveur du développement », la couleur kaki est déjà présente. Sans surprise, on trouve dans le Document de politique transversale à ce sujet les contributions versées pour « le financement des opérations de maintien de la paix (OMP) décidées par l’ONU comptabilisées à hauteur de 6% au titre de l’aide publique au développement, conformément aux directives de l’OCDE », ou encore « des crédits (...) versés à deux écoles pour la formation au maintien de la paix en Afrique de l’Ouest (l’école de maintien de la paix au Mali et l’EIFORCE au Cameroun) » et quelques actions présentables (déminage, santé...) de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD, ex-coopération militaire). On trouve aussi le financement
de missions de formation et de conseil pour les forces de l’ordre... celles-là mêmes qui peuvent réprimer les mouvements populaires pour préserver des régimes
autoritaires. Mais pas d’inquiétudes ! La DCDS « se concentre sur des projets
définis en partenariat (...) dans le domaine du maintien de la paix, du renforcement de l’État de droit et de la sécurité intérieure ».
Évidemment, ce n’est pas de notre faute si l’obsession de la « sécurité intérieure » l’emporte sur « le renforcement de l’État de droit » chez certains de nos partenaires... Dans le même ordre d’idées, on note des crédits de la gendarmerie nationale relevant de l’APD pour 31,6 millions d’euros en 2013 et 2014 (44 M€ prévus pour 2015), sur lesquels le Document de politique
transversale reste très pudique, puisqu’on
ne sait pas à quoi ils correspondent.
Sont également mentionnés deux programmes liés à la Défense. Au sein du
programme « Préparation et emploi des forces », sont comptabilisés les frais liés à la « conduite d’actions civilo-militaires menées au profit des populations ». Or celles-ci (constructions d’un pont, réparation d’une école ou d’un puits, etc) ont
surtout pour fonction, comme le mentionne le document, de « faciliter l’action
opérationnelle des forces », c’est-à-dire de faire accepter la présence des troupes
françaises en opérations extérieures et éviter qu’elles ne soient perçues comme des forces d’occupation. Enfin, on trouve dans le programme « environnement et
prospective de la politique de Défense » (qui a pour vocation de contribuer « à
adapter l’outil de défense notamment en contribuant à la stratégie d’influence de la
France, à la protection et au soutien des intérêts français et européens au travers
d’actions opérationnelles, notamment en termes d’industrie, de technologie et de
diplomatie de défense ») 30 millions d’euros que la France verse annuellement à
Djibouti depuis 2003 pour maintenir sa base militaire dans le pays. La somme
(composée d’impôts, taxes et redevances versées par les Forces françaises à Djibouti, de dons de matériels militaires et d’une contribution directe au gouvernement djiboutien) est ainsi comptabilisée comme de l’APD ! Défense de rire...