A l’instar du Burkinabé Blaise Compaoré il y a un an, le général Denis Sassou Nguesso abat ses cartes pour faire sauter le verrou constitutionnel supposé l’empêcher de rester au pouvoir.
La mascarade préélectorale suit son cours. L’indéboulonnable dictateur du Congo-Brazzaville doit céder la place au terme de la présidentielle de 2016 à laquelle, selon la Constitution pourtant sur mesure qu’il a imposée au pays en 2002 (qui prévoit la limitation du nombre de mandats à deux et un âge maximum de 70 ans), il ne peut se représenter (cf. Billets n°238, septembre 2014). La Constitution ne prévoyant pas sa propre révision sur ces points, Sassou est contraint de passer en force tout en maintenant un minimum de fréquentabilité pour son régime.
La stratégie de communication est simple : c’est le peuple qui lui demande de modifier la Constitution, qualifiée de « frein institutionnel » au changement, lequel peuple le suppliera ensuite de rester au pouvoir. Première étape : la société civile doit exiger un référendum. À cet effet, des « consultations » ont été organisées aux mois de mai et juin, mais ont tourné court tant elles étaient grossièrement partisanes. Un « dialogue national » a suivi mi-juillet. Y ont participé les membres du parti-État PCT et ses satellites, plus quelques associations dont certaines créées pour l’occasion. Les conclusions du « dialogue de Sibiti » sont sans surprise : il faut modifier la Constitution.
Au milieu de diversions cosmétiques, on retiendra deux « propositions » : passage à un mandat présidentiel de 5 ans (au lieu de 7 actuellement) renouvelable sans limite, suppression de la limite supérieure d’âge pour être éligible.
L’opposition au projet de coup d’État constitutionnel se prépare au choc depuis des années, mais souffre de son morcellement : une multitude de partis plus ou moins ancrés localement, des plateformes qui se font et se défont avec des buts apparemment communs, mais des appétits individuels divergents. Malgré ces difficultés, les meetings pour l’alternance démocratique se multiplient. On retiendra le succès du « dialogue alternatif » organisé fin juillet, réunissant plus de six cents personnes, dont plusieurs ministres rapidement limogés , et la création le 22 août d’un front commun unitaire mené par le Frocad (Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et l’alternance démocratique) et l’IDC (Initiative pour la démocratie au Congo).
Sassou divise autant qu’il le peut, conviant ou éloignant du banquet ceux qui lui prêtent ou non allégeance. Il peut compter sur des médias qu’il contrôle largement. Ainsi que sur l’arsenal classique des dictateurs : intimidations, détentions arbitraires, torture [1]. L’Office Congolais des Droits de l’Homme (OCDH) recense pas moins de six journaux fermés ou suspendus pour cause « d’article séditieux » en 2014.
Tout le monde s’attend à voir annoncé le référendum à la fin des jeux africains de Brazzaville en septembre. Les conditions pour un vote transparent sont de toute façon inexistantes. Les listes électorales, basées sur un recensement approximatif et partisan, sont fantaisistes, et la commission électorale dépend directement du ministère de l’Intérieur.
Sans commission électorale paritaire, sans nouveau recensement, on va droit vers un remake de la « présidentielle » de 2009 : ses électeurs multiples, parfois rémunérés, ses dépouillements dans l’obscurité et sans assesseurs, ses urnes préremplies... et la victoire du général à 78%. D’ores et déjà, il n’y a matériellement pas le temps pour organiser des élections transparentes d’ici à l’été 2016 [2]. Si l’on y ajoute un référendum, l’élaboration d’une nouvelle constitution, et la volonté de truquer le scrutin, il y a de bonnes raisons d’être pessimiste.
Côté français, on reste prudemment discret sur cette situation potentiellement explosive. Il devient difficile de soutenir ouvertement un criminel contre l’humanité. On retiendra malgré tout que François Hollande, à l’issue d’une rencontre avec son homologue congolais, souhaite que les choses soient faites dans le « consensus », et son ministre de la Défense, Le Drian, note que la nécessité sécuritaire prime sur l’objectif démocratique. Quant à Jean-Yves Ollivier, cet intime du pouvoir congolais décoré cet été de la Légion d’Honneur par Manuel Valls et qui revendique d’appartenir à une diplomatie de l’ombre, il s’est fendu fin août d’un article au titre édifiant : « la souveraineté ne se découpe pas en mandats » (La Croix, 26/08).
Mais on aurait tort de résumer les manœuvres de Sassou à un simple coup juridique. N’oublions pas de quelle manière il est revenu au pouvoir dont les urnes l’avaient chassé. Denis Sassou Nguesso se moque de la Constitution et ne reculera devant rien pour continuer à se servir de l’État congolais comme d’un patrimoine personnel. Or, plus de trente cinq années cumulées de gestion clanique de l’État l’ont rendu tout puissant : il contrôle la justice, les administrations, et l’armée dont le recrutement est largement ethniste. On voit mal le rapport de force se renverser avant 2016.
[2] Le Frocad et l’IDC ont proposé le 22 août un chronogramme qui serait très serré s’il était mis en œuvre dès à présent.