Survie

Congo-Brazzaville - Le « consensus » contre la démocratie

rédigé le 1er septembre 2015 (mis en ligne le 13 septembre 2015) - Séverine Vannier

A l’instar du Burkinabé Blaise Compaoré il y a un an, le
général Denis Sassou Nguesso abat ses cartes pour faire
sauter le verrou constitutionnel supposé l’empêcher de
rester au pouvoir.

La mascarade préélectorale suit son
cours. L’indéboulonnable dictateur
du Congo­-Brazzaville doit céder la
place au terme de la présidentielle de
2016 à laquelle, selon la Constitution
pourtant sur mesure qu’il a imposée au
pays en 2002 (qui prévoit la limitation du
nombre de mandats à deux et un âge
maximum de 70 ans), il ne peut se
représenter (cf. Billets n°238, septembre
2014
). La Constitution ne prévoyant pas
sa propre révision sur ces points, Sassou
est contraint de passer en force tout en
maintenant
un
minimum
de
fréquentabilité pour son régime.

La
stratégie de communication est simple :
c’est le peuple qui lui demande de
modifier la Constitution, qualifiée de
« frein institutionnel » au changement,
lequel peuple le suppliera ensuite de
rester au pouvoir. Première étape : la
société civile doit exiger un référendum.
À cet effet, des « consultations » ont été
organisées aux mois de mai et juin, mais
ont tourné court tant elles étaient
grossièrement partisanes. Un « dialogue
national » a suivi mi­-juillet. Y ont
participé les membres du parti­-État PCT
et
ses
satellites,
plus
quelques
associations dont certaines créées pour
l’occasion. Les conclusions du « dialogue
de Sibiti » sont sans surprise : il faut
modifier la Constitution.

Au milieu de
diversions cosmétiques, on retiendra deux
« propositions » : passage à un mandat
présidentiel de 5 ans (au lieu de 7
actuellement) renouvelable sans limite,
suppression de la limite supérieure d’âge
pour être éligible.

Diviser, régner

L’opposition au projet de coup d’État
constitutionnel se prépare au choc depuis
des années, mais souffre de son
morcellement : une multitude de partis
plus ou moins ancrés localement, des
plateformes qui se font et se défont avec
des buts apparemment communs, mais
des appétits individuels divergents.
Malgré ces difficultés, les meetings pour
l’alternance démocratique se multiplient.
On retiendra le succès du « dialogue
alternatif » organisé fin juillet, réunissant
plus de six cents personnes, dont
plusieurs ministres ­rapidement limogés ,
et la création le 22 août d’un front
commun unitaire mené par le Frocad
(Front républicain pour le respect de
l’ordre constitutionnel et l’alternance
démocratique) et l’IDC (Initiative pour la
démocratie au Congo).

Sassou divise autant qu’il le peut,
conviant ou éloignant du banquet ceux
qui lui prêtent ou non allégeance. Il peut
compter sur des médias qu’il contrôle
largement. Ainsi que sur l’arsenal
classique des dictateurs : intimidations,
détentions arbitraires, torture [1]. L’Office
Congolais des Droits de l’Homme
(OCDH) recense pas moins de six
journaux fermés ou suspendus pour cause
« d’article séditieux » en 2014.

Tout le monde s’attend à voir annoncé le
référendum à la fin des jeux africains de
Brazzaville en septembre. Les conditions
pour un vote transparent sont de toute
façon inexistantes. Les listes électorales,
basées sur un recensement approximatif
et partisan, sont fantaisistes, et la
commission
électorale
dépend
directement du ministère de l’Intérieur.

Sans commission électorale paritaire,
sans nouveau recensement, on va droit
vers un remake de la « présidentielle » de
2009 : ses électeurs multiples, parfois
rémunérés, ses dépouillements dans
l’obscurité et sans assesseurs, ses urnes
préremplies... et la victoire du général à
78%
. D’ores et déjà, il n’y a
matériellement pas le temps pour
organiser des élections transparentes d’ici
à l’été 2016 [2]. Si l’on y ajoute un
référendum, l’élaboration d’une nouvelle
constitution, et la volonté de truquer le
scrutin, il y a de bonnes raisons d’être
pessimiste.

Soutien discret

Côté français, on reste prudemment
discret sur cette situation potentiellement
explosive. Il devient difficile de soutenir
ouvertement un criminel contre l’humanité. On retiendra malgré tout que
François Hollande, à l’issue d’une rencontre avec son homologue
congolais
, souhaite que les choses soient
faites dans le « consensus », et son
ministre de la Défense, Le Drian, note
que la nécessité sécuritaire prime sur
l’objectif démocratique
. Quant à Jean­-Yves Ollivier, cet intime du pouvoir
congolais décoré cet été de la Légion
d’Honneur par Manuel Valls et qui
revendique d’appartenir à une diplomatie
de l’ombre, il s’est fendu fin août d’un
article au titre édifiant : « la souveraineté
ne se découpe pas en mandats
 » (La
Croix, 26/08)
.

Mais on aurait tort de résumer les
manœuvres de Sassou à un simple coup
juridique. N’oublions pas de quelle
manière il est revenu au pouvoir dont les
urnes l’avaient chassé. Denis Sassou
Nguesso se moque de la Constitution et
ne reculera devant rien pour continuer à
se servir de l’État congolais comme d’un
patrimoine personnel. Or, plus de trente
cinq années cumulées de gestion clanique
de l’État l’ont rendu tout puissant : il
contrôle la justice, les administrations, et
l’armée dont le recrutement est largement
ethniste. On voit mal le rapport de force
se renverser avant 2016.

[2Le Frocad et l’IDC ont proposé le 22 août
un chronogramme qui serait très serré s’il était
mis en œuvre dès à présent.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 249 - septembre 2015
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