Survie

La France organise son impunité

rédigé le 1er octobre 2015 (mis en ligne le 1er novembre 2015) - Tony Fortin

Les gouvernements successifs font tout pour que leurs livraisons d’armes contraires au
droit international passent hors des radars de la justice. Un projet loi relatif à la violation
des embargos attend toujours d’être programmé à l’Assemblée.

« Les exportations constituent
chaque jour un peu plus des
relais de croissance importants
pour nos entreprises. »
se félicite Jean-Yves
Le Drian, dans le dernier rapport au
Parlement sur les exportations d’armes.
Fort de ses résultats (8,2 milliards d’euros
de « prises de commande » en 2014) et
des récents succès liés aux ventes du
Rafale cette année (Égypte, Inde, Qatar),
le gouvernement met en avant des
arguments économiques pour justifier sa
politique d’exportation d’armes. Les
armes seraient-elles
des marchandises
comme les autres ?

Photo CC Josh Wedin


Force est de constater que ce n’est pas le
cas puisqu’elles relèvent – encore ! - de
l’action politique. Chaque décision
d’exportation est entre les mains de la
Cieemg (la Commission interministérielle
pour l’étude des exportations de matériel
de guerre) qui est sous la tutelle du
Premier ministre. De plus, les transferts
d’armes forgent les relations
diplomatiques que la France développe
vis-à-vis
de certains pays. Ils s’inscrivent
bien souvent dans des accords de
coopération militaire et policière signés
avec le pays acheteur. De fait, ce
commerce se situe au confluent de
plusieurs types d’intérêts : industriels et
économiques certes, mais aussi
diplomatiques et géostratégiques, voire
même corporatistes.

Petits arrangements

Il est aujourd’hui établi que la France a
envoyé des armes aux rebelles libyens en
2011 ou au groupe armé touareg le
MNLA (Mouvement National de
Libération de l’Azawad) pour lutter
contre ses ex-alliés
djihadistes au nord du
Mali en 2012. Ces livraisons d’armes à
des « groupes armés » concourent non
seulement à donner un « avantage
stratégique » déterminant à ces forces,
mais aussi à poser une option sur le futur
du pays. Avec le risque que ces armes
terminent entre les mains d’autres
belligérants ou se retournent contre leur
« envoyeur ». Ainsi en est-il
des armes
lâchées aux rebelles libyens dont une
partie s’est retrouvée par la suite entre les
mains des groupes djihadistes au Mali
(Aqmi, Ansar Dine et le Mujao). Quant
aux livraisons d’armes au MNLA au
Mali, elles interrogent dans la mesure où
le mouvement touareg entretient des
relations poreuses avec ceux que Paris
nomme les « groupes terroristes ».

Ces transferts d’armes rentrent en
contradiction frontale avec le droit
international. Depuis une quinzaine
d’années, en réaction aux guerres
notamment au Moyen-Orient
et en
Afrique, toute une série de programmes et
de conventions régionales et
internationales ont été négociés pour
combattre la prolifération des armes. En
témoignent le Programme d’action des
Nations unies en vue de prévenir,
combattre et éradiquer le commerce
illicite des armes légères et de petit
calibre sous tous ses aspects (2001), la
Position commune de l’Union européenne
définissant des règles communes
régissant le contrôle des exportations de
technologie et d’équipements militaires
(2008) ou le traité sur le commerce des
armes (TCA) entré en vigueur le 24
décembre 2014.

Nés pour partie de la mobilisation de la
société civile, ces textes interdisent,
notamment, tout transfert d’armes à des
pays en guerre, où se produisent des
violations massives des droits de
l’homme et du droit international
humanitaire. Au premier rang sont ciblés
les pays sous embargo, selon une liste
fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU
et l’Union européenne. Au regard des
envolées lyriques de ses dirigeants, on
pourrait croire que la France a intégré les
différentes obligations internationales
dans sa législation et tout
particulièrement le respect des embargos.
Or ce n’est pas le cas !

La France traîne des pieds…

Certes, depuis plus de dix ans, le
gouvernement a régulièrement déposé
devant le Parlement, au gré des
alternances politiques, un projet de loi
visant à sanctionner pénalement les
violations des embargos. Mais ce texte,
enfin voté en première lecture au Sénat
en 2007, n’a jamais été inscrit à l’ordre du
jour de l’Assemblée par le
gouvernement ! L’absence de volonté
politique est patente : les gouvernements
successifs entendent livrer des armes au
gré de leurs intérêts géostratégiques. Ce
projet de loi serait donc pour eux « un
boulet aux pieds », les contraignant à
respecter les embargos fixés par l’ONU
ou l’Union européenne, qui s’appliquent
indistinctement aux entités ou personnes
parties prenantes du conflit.

Redéposé une nouvelle fois en 2013 à
l’Assemblée nationale, la dernière
version du projet de loi couvre à la fois
les transferts d’armes stricto sensu mais
aussi toutes les activités (commerciale,
formation, assistance technique…) les
rendant possible. Mais le texte s’enlisant
de nouveau, Amnesty International
France, l’Observatoire des armements et
Survie ont réengagé début 2015 un travail
de plaidoyer à destination des autorités.
Le ministère de la Défense, le Quai
d’Orsay et l’Elysée ont assuré la main sur
le cœur qu’il n’y avait plus de blocage
politique, mais étrangement rien ne
bouge au niveau de l’exécutif. Le député
socialiste Pouria Amirshahi, nommé
rapporteur pour ce texte il y a plus de
deux ans, et son collègue écologiste Noël
Mamère, ont donc interrogé
officiellement le ministre des Affaires
étrangères en septembre sur la date de
son inscription à l’ordre du jour de
l’Assemblée. Espérons que d’autres
députés accentueront la pression.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 250 - octobre 2015
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