Survie

Les hommes intègres dans l’œil du cyclone

rédigé le 29 septembre 2015 (mis en ligne le 8 octobre 2015) - Odile Tobner

Moins d’un an après que le peuple burkinabè a chassé Compaoré du pouvoir qu’il exerçait depuis 27 ans, depuis l’assassinat de Sankara, les tenants de l’ancien régime ont tenté de se rétablir par un putsch.

À la manœuvre le trop fameux régiment de la sécurité présidentielle, garde prétorienne formée par Compaoré pour s’emparer du pouvoir et le conserver. Aux commandes le général Gilbert Diendéré, compagnon de la première heure et exécuteur des basses œuvres du tyran : assassinat du président Sankara puis élimination de Henri Zongo et J-B Boukary Lingani, complices et rivaux de Compaoré, assassinat du journaliste Norbert Zongo, innombrables cas de tortures, disparitions, arrestations arbitraires. Faute d’avoir dissous le RSP, arrêté et jugé ses chefs, le gouvernement de transition s’est trouvé à sa merci. À l’approche des élections la sage décision du conseil national de la transition d’exclure de l’élection présidentielle les candidats issus de l’ancien régime criminel afin de parer à tout risque de fraude, nourrie par l’argent accumulé par les dirigeants de l’ère Compaoré, a poussé Diendéré à tenter le putsch.

Pendant que le peuple burkinabè descend dans la rue pour défendre sa liberté et voit plusieurs dizaines des siens tomber sous les balles du RSP, les instances régionales, internationales, et les États intéressés entrent en scène : CEDEAO, ONU, UE, USA, France. Alors que la condamnation du coup d’État est unanime, on invite de soi-disant "médiateurs" à négocier avec ses auteurs. Selon eux tout pourrait rentrer dans l’ordre à deux conditions : amnistie pour les auteurs du putsch et suppression de l’interdiction de se présenter à l’élection présidentielle pour les pontes de l’ancien régime. Que demander de plus ? En France Le Monde, comme d’habitude, est chargé de faire passer la bonne parole dans l’opinion. Dans un éditorial d’un paternalisme lourdingue, le journal fait la leçon aux Burkinabè sur ce qu’est une dictature : « Sans doute les autorités de transition étaient-elles, en partie, engagées dans une forme de dérive. Les dispositions qu’elles avaient prises pour écarter toutes les personnes liées de près ou de loin à l’ex-pouvoir de Blaise Compaoré sont injustifiables. Le Burkina n’était pas dans un état de dictature lorsqu’il était dirigé par Blaise Compaoré : ceux qui ont occupé des fonctions avant les manifestations d’octobre 2014 ne peuvent être « criminalisés » politiquement ». Il ose qualifier de « dérive » les actions très modérées du gouvernement de transition pour assainir la vie politique burkinabè.

Si le RSP trouve autant de compréhension auprès des Français c’est qu’il a toujours travaillé avec les éléments du commandement des opérations spéciales (COS) stationnés à Ouagadougou. Ce sont eux qui ont protégé la fuite de Compaoré vers la Côte d’Ivoire, lui épargnant arrestation et procès. Le général Diendéré lui-même est un familier du général Emmanuel Beth, ancien chef de Licorne en Côte d’Ivoire et ambassadeur de France au Burkina de 2010 à 2013, et de son frère le général Frédéric Beth, patron du COS à Ouagadougou à la même époque. Ces relations ont valu la légion d’honneur à un homme dont le parcours relevait de la CPI.

Tenu éloigné de ces arcanes du pouvoir, le peuple burkinabè sait ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. La maison de Diendéré, dans son village, a été incendiée. L’entreprise putschiste a pour l’instant reculé devant la détermination des citoyens à défendre leur souveraineté et la liberté de choisir eux-mêmes leur destin.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 250 - octobre 2015
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