Survie

Voter en Françafrique

rédigé le 1er novembre 2015 (mis en ligne le 5 novembre 2015) - Odile Tobner

Dimanche 25 octobre on votait au Congo-B et en Côte d’Ivoire. Si différentes que soient à première vue les deux votations, référendum constitutionnel à Brazzaville, élection présidentielle à Abidjan, elles partagent les mêmes caractéristiques, spécifiquement françafricaines.
La première est la violence, ouverte ou larvée, qui précède le scrutin : interdiction et répression armée des manifestations populaires, saisie ou fermeture des journaux ou médias d’opposition, arrestations d’opposants et de journalistes. La deuxième est la débauche de propagande qui inonde à grands frais le pays et la disproportion abyssale des moyens déployés par le pouvoir au regard d’une opposition symbolique qui n’est là que pour faire de la figuration. La troisième est que le résultat du vote est connu d’avance au point que le scrutin paraît de pure forme, nombre de Congolais et d’Ivoiriens parlant de « farce », de « parodie », de « mascarade électorale ». La victoire du pouvoir en place est en effet écrasante, 92,96 % pour Sassou Nguesso, 83,66 % pour Ouattara. La quatrième enfin est que cette façade triomphale dissimule mal l’abstention massive de populations moins indifférentes que sans illusion sur la crédibilité des résultats. Les taux de participation annoncés, 72,44 % au Congo, 52,86 %, en Côte d’ Ivoire font sourire ceux qui ont constaté sur le terrain cette grève citoyenne. De tous les chiffres truqués, celui de l’abstention est le plus truqué parce que sa vérité signifierait clairement le désaveu majoritaire d’une population muselée et prise en otage.
Mais obtenir l’assentiment d’une majorité des citoyens est un détail oiseux dans une consultation françafricaine. C’est Paris qui décide de la légitimité du pouvoir et c’est sur ce point que les scrutins congolais et ivoiriens divergent quelque peu. Après avoir louvoyé – le quai d’Orsay se contentant dans un premier temps de prendre note du résultat du référendum congolais – Paris a estimé que les conditions dans lesquelles ce référendum constitutionnel a été organisé dimanche au Congo « ne permettent pas d’en apprécier le résultat, notamment en termes de participation ». Ce lâchage public de Sassou par l’Élysée est notable ; savoir si on passera des paroles aux actes, en suspendant certains accords de coopération par exemple, est une autre question. Pour l’élection ivoirienne par contre, Paris s’est conformé à la procédure habituelle en Françafrique à l’égard des présidents amis et Hollande a chaudement félicité Ouattara pour sa réélection, feignant d’ ignorer que ce scrutin n’est pas plus crédible que le congolais. Mais le régime ivoirien, installé militairement par la France en 2011, doit absolument être sanctuarisé.
En matière d’arithmétique électorale certaines comparaisons sont éloquentes. En Tanzanie, où on votait le 25 octobre, les listes électorales comptent 23 millions d’ inscrits pour 49 millions d’habitants, soit presque la moitié, alors qu’en Côte d’Ivoire ils sont 6 millions pour 20 millions d’habitants, soit moins d’un tiers, alors que la pyramide des âges y est analogue. C’est qu’en Françafrique les peuples ne croient pas en la sincérité des élections et hésitent à s’inscrire pour des consultations qu’ ils savent par expérience douteuses. Le changement par les urnes y est beaucoup plus rare que dans le reste de l’Afrique, non que la contestation des résultats soit absente ailleurs mais elle se règle, bien ou mal, entre acteurs locaux. Tant est profonde la rupture creusée par le poids écrasant de l’ ingérence française entre une classe gouvernementale hors sol et le pays réel.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 251 - novembre 2015
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