Survie

Centrafrique : La force européenne impliquée dans le scandale des viols ?

rédigé le 3 janvier 2016 (mis en ligne le 16 janvier 2018) - Thomas Noirot, Yanis Thomas

Les accusations d’abus sexuels sur des enfants révélées en avril 2015 incriminent l’opération française
Sangaris. Mais selon un des témoignages, des faits pourraient mettre en cause des soldats français sous
uniforme européen.

Fin avril 2015, le journal britannique The
Gardian
révèle qu’un rapport de
l’ONU documente des accusations
d’abus sexuels commis entre décembre 2013
et juin 2014 par des soldats français sur de
jeunes garçons en Centrafrique. On pense
évidemment aux soldats de l’opération
Sangaris, déclenchée à partir du 5 décembre
2013, et toujours en cours dans le pays. Mais
les suspects, français, sont­-ils forcément
engagés sous la bannière de l’opération
française au moment des faits ? En effet, à
partir du 30 avril 2014, une compagnie du
152ème Régiment d’Infanterie est détachée
statutairement de l’opération Sangaris pour
« basculer au sein de l’opération européenne
EUFOR RCA
 », selon les termes même du
point de situation du ministère de la Défense.
Ces soldats, déjà sur place, changent donc de
statut mais pas immédiatement de mission –
et pas forcément de pratiques. Est­-il
envisageable que des actes criminels aient
alors été commis sous la bannière de la force
européenne, officiellement mise sur pied le
1er avril 2014 et déployée dans les semaines
qui ont suivi ? Un témoignage d’un des enfants
entendus par les enquêteurs de l’ONU [1] sème
le doute.

Témoignage à charge

Un gamin des rues de 13 ans affirme que
plusieurs de ses amis ont été régulièrement
abusés sexuellement par des membres des
forces internationales en l’échange de
nourriture. Il témoigne avoir vu un de ses
amis effectuer deux fellations à un soldat
français surnommé « Batman » au check point
Alpha 2, au sud­-est du parking de l’aéroport
Mpoko. La dernière aurait eu lieu quelques
jours avant l’interview, donc début juin 2014,
et « Batman » et son complice « Yo Yo »
demeureraient à la base UCATEX (du nom
d’une ancienne usine textile). L’enfant
rapporte par ailleurs avoir vu un de ses amis
effectuer une fellation à un certain « David »
au check point piéton de l’aéroport quelques
jours avant l’interview avec les enquêteurs.
David et son binôme « Jounjou », lui aussi mis
en cause, seraient des snipers habituellement
postés sur le toit de l’aéroport et seraient
logés sur la base UCATEX. L’enfant rapporte
aussi les cas détaillés de deux abus sexuels sur
des amis à lui par d’autres militaires français
(« Nico » et « Jean ») eux aussi basés à l’ex­
usine UCATEX et affectés à la sécurité de
l’aéroport (respectivement « Nico », au check
point piéton de l’aéroport fin mars, et « Jean »,
au niveau de la tour de contrôle mais sans
précision de date).

Faisceau d’indices

La mention de la base UCATEX n’est pas
anodine, car ce site a été choisi pour accueillir
le camp de la force européenne : les travaux
de démolition des restes de l’usine et de
construction de la nouvelle base n’ont débuté
que le 8 mai 2014, pour accueillir à partir du
11 juin les soldats de l’opération EUFOR RCA [2] .
Si les soldats accusés par ce garçon résidaient
effectivement à la base UCATEX vers les mois
de mai et juin 2014, ils pourraient donc relever
des forces françaises mises à disposition de
cette opération – et non plus de Sangaris,
dont les troupes étaient stationnées ailleurs.
D’autre part, ce témoignage fait état de
viols commis début juin sur des check points
gardant l’aéroport Mpoko. Or, depuis le
transfert d’autorité intervenu entre la force
française Sangaris et l’EUFOR RCA le 30 avril
2014 [3], la sécurité et la protection de l’aéroport
sont officiellement assurées par la force
européenne – y compris avec des soldats
français relevant précédemment de Sangaris.
Enfin, quatre membres du 152ème
Régiment d’Infanterie ont été auditionnés le 8
décembre 2015 dans le cadre de l’enquête
judiciaire ouverte en France sur ce scandale de
viols, l’un sous le statut de la garde­-à­-vue, les
trois autres libres « mais néanmoins en
qualité de mis en cause et non de témoin
 »
(RFI, 8/12). Il s’agit justement du régiment
dont une compagnie a été placée sous
l’autorité de l’EUFOR RCA – même si rien, à ce
stade, ne nous permet d’affirmer que ces
quatre soldats appartenaient à cette
compagnie­-là.

Les implications

L’implication de soldats français de
l’EUFOR RCA n’est ici qu’une hypothèse.
Cependant, si elle était confirmée, elle
amènerait évidemment à s’interroger sur
l’action de l’Union européenne vis­-à­-vis de tels
actes commis sous sa bannière [4]. Il faudrait
notamment établir si l’état­-major de la force
européenne, qui était placée sous les ordres
du général français Philippe Pontiès et
commandée sur place par un autre général
français, Thierry Lion, a pris les mesures qui
s’imposaient en initiant des procédures
d’enquête sur la base, a minima, du
témoignage de ce garçon.

[1Il s’agit de l’interview n° 5 du rapport d’enquête du 18 juin 2014, dont une version anonymisée a été publiée par Mediapart (14/07/2015)

[2« The great UCATEX story », Service d’action
extérieure de l’Union européenne, 1/08/2014.

[3« EUFOR RCA en charge de la sécurité à l’aéroport de Bangui », communiqué de l’Union européenne, 30 avril
2014

[4Comme l’a révélé France Info (30/04/2015), des
accusations ont également été portées contre la
compagnie géorgienne déployée dans le cadre de
l’EUFOR­RCA.

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Un enfant devant un blindé de l'EUFOR en RCA (Photo CC Pierre Holtz for UNICEF)
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 253 - janvier 2016
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