Survie

Déchéance d’une nation

(mis en ligne le 16 janvier 2016) - Odile Tobner

L’année 2015 aura été une année faste pour le terrorisme, puisque les tristes événements de janvier et de novembre auront justifié de graves atteintes aux libertés individuelles, notamment au droit à la sûreté et au respect de sa vie privée ainsi qu’à la liberté d’aller et venir et autres droits constitutionnellement protégés en théorie, avec l’accord de tous les partis représentés au Parlement.

Moins de dix hommes n’auraient pas pu à eux seuls mettre ainsi à bas ces grands principes démocratiques s’ils n’avaient pas été déjà complètement vermoulus, intérieurement évidés par la longue histoire coloniale de la France. Au nom des intérêts supérieurs de la Nation, l’exécutif, à travers l’armée et les services spéciaux, a toujours pu contrôler, censurer, voire torturer et tuer impunément ceux qui s’opposaient à ses menées extérieures. La Ve République elle-même est née d’une guerre coloniale et est sans conteste la Constitution occidentale qui reconnaît les plus larges pouvoirs à l’exécutif, au détriment de l’État de droit, au point qu’un célèbre opposant à de Gaulle a pu parler d’un « coup d’État permanent ». C’est pourtant ces pouvoirs dont Hollande va demander le renforcement via son projet de révision constitutionnelle, sous l’étonnant prétexte qu’ils seraient insuffisants pour lutter contre le terrorisme.

Cette réforme constitutionnelle va permettre à l’État français de franchir un pas supplémentaire dans le reniement de tout ce qui est censé le fonder puisqu’il vise par ailleurs à inscrire dans la Constitution la possibilité, en cas de « crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation », de déchoir de leur nationalité les seuls binationaux, ce qui revient à constitutionnaliser l’inégalité devant la loi. L’adhésion que rencontre un tel projet dans tous les groupes du Parlement illustre crûment le fait que la France n’a jamais pu se résoudre à considérer comme pleinement français ceux de ses ressortissants issus de ses anciennes colonies, toujours considérés comme des « Français de papier », pour reprendre une formule chère au Front national. Hollande et Valls jouent donc sur du velours en proposant de consacrer constitutionnellement l’existence de Français de seconde zone.

S’abritant derrière l’alibi des circonstances, le pouvoir socialiste s’acharne tout autant que les gouvernements de droite auxquels il succède à nourrir le « malaise des banlieues » qu’il prétend combattre. Quel rapport y-a-t-il en effet entre la commission de crimes de droit commun et le régime de la nationalité, sinon que c’est l’occasion, une fois de plus, de souffler sur les braises de l’islamophobie ? Pourquoi élever des criminels à la dignité d’opposants politiques ? A moins qu’il ne s’agisse au contraire d’abaisser au rang de terroristes ceux qui s’opposeraient aux massacres de masse commis au nom de la lutte antiterroriste.

En 1956, la gauche unanime, PCF compris, votait les pouvoirs spéciaux au gouvernement Mollet au prétexte de lutter contre le terrorisme. Ce vote a permis de torturer, de mettre à mort sans jugement, de condamner à la peine capitale des militants anticolonialistes tels que Fernand Iveton, dont la grâce fut refusée par Mitterrand, alors garde des sceaux, Maurice Audin et tant d’autres. Le vote du projet de loi constitutionnelle proposé par les dignes héritiers de ces deux canailles sera l’occasion de célébrer dignement le soixante-dixième anniversaire de ce grand moment de notre histoire républicaine.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 253 - janvier 2016
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