Survie

Lions et Moucherons

rédigé le 2 février 2016 (mis en ligne le 14 février 2016) - Odile Tobner

Les prétentions stratégiques de l’opération Barkhane ont une fois de plus été ridiculisées par l’attentat qui a frappé le 15 janvier un hôtel fréquenté par les expatriés, au cœur de Ouagadougou, capitale d’un pays qui sert de base aux forces spéciales françaises. Après celui qui avait, le 20 novembre 2015, frappé un hôtel de Bamako, il confirme combien l’interventionnisme français est impuissant à atteindre son objectif affiché : assurer la paix et la sécurité dans la région – on se souvient que l’opération Serval avait été lancée en janvier 2013 au prétexte de sécuriser la capitale du Mali en anéantissant la rébellion djihadiste : trois ans après, Bamako est moins sûre et les djihadistes plus audacieux que jamais. C’est la situation sécuritaire de l’ensemble du Sahel qui se dégrade à mesure que la zone se militarise – au nord du Cameroun, les attentats sont en recrudescence depuis l’arrivée de plusieurs centaines de soldats américains.

C’est toujours la même histoire avec les expéditions coloniales : un déploiement de forces disproportionné par rapport à un ennemi minuscule mais insaisissable, une guerre qui s’enkyste dans des pays mis à feu et à sang et cela se termine par le retrait des forces étrangères qui laissent un pays pantelant dont les habitants sont obligés de s’arranger entre eux vaille que vaille. Notre XXIè siècle s’ouvre sur une nouvelle vague de conflits destructeurs et insolubles avec les guerres à répétition en Afghanistan et en Irak, les interventions en Libye, au Mali, en Syrie, demain à nouveau en Libye et ailleurs.

Aucune de ces guerres n’atteint jamais l’objectif allégué pour son déclenchement mais cela n’empêche pas de répéter indéfiniment le processus. C’est qu’elles n’ont d’autre objectif qu’elles-mêmes, d’autre objet que de faire tourner inlassablement les industries de l’armement, consumer hommes et biens. Cette guerre permanente s’est trouvé un ennemi dit asymétrique, omniprésent et invisible, monstrueux et mystérieux, vulnérable et indestructible : le terrorisme, qui surgit partout mais n’est fixé nulle part, avec qui il est impossible et impensable de traiter. La seule issue est l’éradication de l’ennemi, perspective qui voit son accomplissement indéfiniment différé, malgré les annonces réitérées de succès décisifs.

Cette guerre totale amène une réorganisation tout aussi radicale de la société, tant dans les pays interventionnistes que dans ceux que leurs interventions plongent dans le chaos et vident de leurs populations. La France, à la pointe des interventions militaires, offre l’exemple le plus criant des conséquences sociales et politiques de cet état de guerre dans lequel elle est aujourd’hui enlisée par le fait de ses gouvernants : restriction des libertés, pleins pouvoirs octroyés à l’armée, à la police et aux services, catégories entières de citoyens transformées en suspects a priori, ruine progressive de l’ensemble des services publics, tout cela de plus en plus mal dissimulé par l’omniprésence d’une propagande de plus en plus grossière. C’est le prix exorbitant à payer pour la vaine prétention d’être une puissance militaire, capable de bombarder à tout va des populations entières sous le prétexte d’anéantir des moucherons. On n’oubliera pas qu’à la fin, dans la fable de La Fontaine, « le malheureux lion se déchire lui-même ».

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 254 - février 2016
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi