Si le procès du président Laurent Gbagbo devait permettre d’asseoir la crédibilité de la cour pénale internationale (CPI), l’affaire semble bien mal engagée tant celui-ci contrevient aux principes les plus basiques d’une justice équitable. Il s’agit manifestement d’écarter définitivement cet homme de la vie politique ivoirienne au prix du détournement d’une instance prétendument vouée à la répression des crimes de masse les plus atroces.
Les premières réquisitions de la procureure avaient déjà été rejetées comme insuffisamment étayées en dépit d’une longue instruction, ce qui est étonnant s’agissant de crimes contre l’humanité, normalement assez difficiles à dissimuler. Voilà qu’on nous annonce que ce procès devrait durer des années en raison du grand nombre de témoins cités par l’accusation. Laurent Gbagbo sera donc resté détenu sans condamnation pendant près de dix ans.
Autre aberration, l’audition de nombreux témoins se déroulera à huis clos sous prétexte de les protéger. Il est vrai que l’identité de certains, dévoilée par inadvertance, a de quoi surprendre. L’accusation présente ainsi comme victime de pratiques génocidaires un homme blessé lors de la répression de l’assaut des manifestants pro-Ouattara contre la télévision ivoirienne ! Tremble Hollande, tu seras traîné devant la CPI pour la mort de Rémi Fraisse !
Plus étonnants encore, l’accusation cite Philippe Mangou, chef d’état-major de l’armée sous Gbagbo et actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire au Gabon, ou encore le général Edouard Kassaraté, commandant supérieur de la gendarmerie sous Gbagbo et actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire au Sénégal, que seul leur ralliement rapide à Ouattara semble avoir mis à l’abri d’une comparution aux côtés de Gbagbo. Ils sont présentés par la CPI comme des "repentis", relevant à ce titre d’une protection spécifique. Il est cependant rare de voir des criminels repentis protégés au point de représenter leur pays à l’étranger ! Va-t-on produire à grands frais 130 témoins de cette sorte pendant deux ans ?
Ce procès d’opérette aurait de quoi faire rire si durant ce temps le sang des victimes de massacres ethniques particulièrement atroces ne demandait justice en vain : plusieurs dizaines massacrées pendant leur sommeil par les milices rebelles à Guitrozon en 2005 ; un millier exterminées par des éléments des forces pro-Ouattara à Duékoué en mars 2011 ; plusieurs centaines de morts et disparus dans le camp de réfugiés de Nahibly en juillet 2012, dans des représailles organisées par les autorités locales, tous massacres documentés par des rapports d’Amnesty International et de la FIDH. L’unique survivant des exécutions sommaires de 2012, qui avait témoigné, a été abattu par les militaires en décembre 2014.
Mais de tout cela, les puissances qui financent la CPI, notamment la France, ne veulent pas entendre parler. C’est que ces crimes de masse qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire sont à imputer aux milices de la rébellion fomentée contre Gbagbo depuis le Burkina de Blaise Compaoré et installée au pouvoir en avril 2011 par l’armée française. C’est de ce sang que l’apparatchik socialiste et avocat Jean-Pierre Mignard, accusateur de Gbagbo pour le compte de Ouattara à la CPI, tire ses émoluments.
L’épisode le plus récent de cette tragique histoire françafricaine éclaire encore davantage ce théâtre d’ombres qu’est le procès Gbagbo. Compaoré, qui a échappé à la justice burkinabè grâce à son exfiltration par l’armée française fin octobre 2014, a reçu de la main de Ouattara, arrivé au pouvoir grâce à lui, la nationalité ivoirienne, qui lui garantit de ne pas être extradé, et donc l’impunité. C’est cela la justice en Françafrique, et rien d’autre.