Survie

Congo : la France "s’exprime à sa façon"

rédigé le 2 avril 2016 (mis en ligne le 23 avril 2016) - Alice Primo

A Paris, on fait mine
de ne pas approuver, mais sans condamner, et en maintenant la coopération, y compris militaire.

Après avoir imposé une nouvelle Constitution
sur mesure pour le dictateur et
avancé le scrutin, le clan présidentiel a
coupé le pays du monde en imposant une suspension
des télécommunications au moment
du premier tour, le 20 mars, et les jours suivants.
Rien que cette mesure aurait dû provoquer
une pluie de condamnations
internationales, tant il était prévu que le parti-État
entendait annoncer une victoire du dictateur-candidat
dès le premier tour. Si les États-Unis
ont timidement dénoncé cette mesure liberticide,
la France officielle a à nouveau brillé
par son silence.

Langue de bois

Lors de son point presse du mardi 22 mars,
le Quai d’Orsay s’est contenté de signaler que
« ce scrutin s’est déroulé dans un contexte préoccupant,
en raison notamment de la coupure
des communications »
, ajoutant cyniquement
que

« la France, qui fait preuve de vigilance,
rappelle son attachement à la transparence et à
l’équité du processus électoral à toutes ses
étapes »
. La belle affaire ! Même l’agression de
3 journalistes français (du Monde et de l’AFP)
et la confiscation illégale de leur matériel et de
leur passeport par des policiers en civil, à la
sortie d’une conférence de presse de l’opposition
à Brazzaville le 23 mars, n’a pas infléchi la
langue de bois diplomatique. Le 24 mars, le
même Quai d’Orsay a en effet précisé que
l’ambassadeur de France au Congo était « immédiatement
intervenu auprès des autorités
afin que leurs effets leur soient restitués sans
délai, (…) et que toute la lumière soit faite sur
cet incident »
; sans oublier la rengaine : « La
France rappelle son attachement, partout dans
le monde, à la liberté d’expression et à la liberté
de la presse »
. Et que pourraient faire de
plus les autorités françaises, mon bon monsieur
 ? Visiblement pas suspendre la coopération
de défense, au titre de laquelle des
militaires français « conseillent » et « forment »
les forces de l’ordre congolaises (cf. Billets
n°251
, novembre 2015).
Sans surprise, le 24 mars, les autorités
congolaises annonçaient des « résultats partiels
 » selon lesquels Sassou Nguesso serait élu
au premier tour avec 67 % – un résultat relayé
sur le champ sur Twitter par i-télé,
dont le
tweet a été immédiatement et abondamment
retweeté par les faux comptes mis en place par
le pouvoir congolais et ses communicants, afin
de donner force de vérité médiatique à une annonce
grotesque.

Au PS, dissidence sans impertinence

Comme lors du référendum frauduleux sur
la modification constitutionnelle, le Parti socialiste
a condamné le 25 mars, par la voix de son
Secrétaire national à l’International, Maurice
Braud, ce coup de force. Une prise de position
appréciée par l’opposition congolaise, en mal
de soutien international. Mais comme lors du
référendum, le PS s’est bien gardé de demander
à l’exécutif français de prendre des mesures
concrètes comme le gel des avoirs de
certains membres du clan ou la suspension de
la coopération militaire.
Le même jour, les cinq principaux candidats
usurpés ont pour leur part, dans un communiqué
commun, appelé à la désobéissance
civile (avec une première journée « villes
mortes » le 29 mars) et demandé à la communauté
internationale la suspension de toute coopération.
Depuis, ils se retrouvent de facto en
liberté surveillée ou sont dans la clandestinité,
comme le général Mokoko, dont plusieurs
membres de l’équipe de campagne ont été arrêtés,
d’autres se cachant comme lui – mais
jusqu’à quand ?
A partir du 25 mars, les décomptes organisés
par l’opposition sont venus contredire largement
les chiffres de la commission
électorale officielle – présidée par un proche
du ministre de l’Intérieur congolais (Lettre du
Continent, 23/03
). Empêtré dans la politique
intérieure française (abandon de la réforme
constitutionnelle, contestation massive de la
réforme du Code du travail), François Hollande,
on le devine, continuera sa stratégie
faite de silences et de demi-phrases
 : il « ne
donnera donc pas son sentiment dans l’immédiat.
L’information est confirmée à l’Elysée : le
président veut attendre la fin du processus et
l’examen des recours pour réagir »
(Rfi.fr,
26/03
).

Le problème, c’est les autres

Jean-Marc
Ayrault, invité Afrique de RFI le
31 mars
, a à sa manière parfaitement résumé la
situation. Alors que la journaliste Anne Cantener
relève que la France « n’a pas parlé ouvertement
d’irrégularités lors du scrutin, ce
qu’ont fait par exemple les États-Unis
 »
, et demande
« comment expliquer cette différence
de ton ? »
, le ministre des Affaires étrangères
élude : « Chaque pays s’exprime à sa façon ». Et
d’asséner les éléments de langage de l’Elysée,
sur une posture générale pleine d’enfumage
mais sans application concrète : « Ce qui est
sûr c’est que la France n’est pas favorable à ces
modifications constitutionnelles permanentes
qui ont pour objet de maintenir au pouvoir un
chef d’État qui est là depuis des dizaines et des
dizaines d’années. Ce n’est bon pour aucun
pays. Il y a des pays je
pense au Burundi, à la
République démocratique du Congo qui
sont
tentés par des réformes constitutionnelles de
même nature. On voit bien que cela crée des
troubles, de la tension et des dangers. Il faut
vraiment que, dans tous ces pays, la raison démocratique
l’emporte »
. On aimerait qu’à Paris
aussi la raison démocratique l’emporte et, par
exemple, que la France suspende enfin sa coopération
militaire.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 256 - avril 2016
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