Survie

Comores : Mayotte debout

rédigé le 26 avril 2016 (mis en ligne le 25 octobre 2020) - Mathieu Lopes

Le mouvement social à Mayotte a réussi à apparaître sur les radars des médias français après deux semaines. C’est surtout la « violence » qui a alors intéressé. Un intérêt sélectif, qui oublie celle générée par l’occupation illégale de l’île par la France.

La couverture médiatique des mouvements sociaux en France n’est déjà pas fameuse. Pour les luttes dans les départements d’outremer, le premier réflexe est de les ignorer simplement. Comme pour le LKP [1]. en Guadeloupe en 2009, ce n’est qu’après deux semaines de grève générale et d’émeutes à Mayotte que la situation a commencé à intéresser les rédactions.
Ce mouvement avait commencé en réalité en novembre dernier pour exiger les mêmes droits qu’en France hexagonale. En effet, malgré la départementalisation de cette île comorienne en 2011, le Code du travail n’y est pas pleinement appliqué, la semaine de travail est de 39 heures, le montant du RSA est diminué de moitié, beaucoup d’infrastructures manquent, entre autres inégalités flagrantes. Ce premier mouvement avait été suspendu suite à la mise en place de l’état d’urgence qui avait interdit la tenue de barrages. Comme ailleurs, l’état d’urgence avait aussi servi au passage à d’autres fins politiques : la préfecture s’était même enorgueillie d’en avoir profité pour renforcer encore « la lutte contre l’immigration clandestine » [2].
La loi El Khomri du printemps 2016 est venue raviver le mécontentement social à Mayotte, prenant la forme de manifestations massives à l’appel des syndicats et de blocage des voies de communication du pays par des barrages. Des émeutes ont aussi eu lieu. Elles ont été présentées comme n’ayant pas de lien avec le mouvement, mais puisque la parole des émeutiers n’a pas été recueillie, on ne peut que supposer, au minimum, qu’elles sont le fruit du terreau socio-économique de l’île.

Focus sur une certaine insécurité...

Les revendications intéressent moins les médias que « les violences ». Suite à la mort d’un « métropolitain » poignardé par des jeunes adolescents, une journée « île morte » avec une marche est organisée, très relayée médiatiquement. On apprend que 5000 à 6000 personnes y participent (quand on ignore toujours combien de personnes exactement ont participé aux manifestations et au blocage de l’île). Manuel Valls a annoncé un lot de mesures pour Mayotte : plusieurs, étalées sur le long terme, concernent la situation économique et ne sont pas toutes «  encore totalement défini[es] », mais la seule déployée en urgence est un « plan contre l’insécurité » avec « un renforcement de personnels et moyens pour les forces de l’ordre » (Le Parisien, 26/04). Le procureur de Mayotte, Joël Garrigue, décrit lui-même les racines économiques de la « délinquance » : «  les cambrioleurs ouvrent tout, y compris le frigo. Ailleurs, je n’avais jamais vu ça. »

...Silence sur une autre

Rares sont les publications qui parlent dans le même temps d’une autre insécurité, massive et venant de l’État français. L’exacerbation d’une identité nationale française mène en ce moment à une « chasse aux étrangers » par des Mahorais qui expulsent de leur maison ceux qui étaient encore leurs concitoyens il y a quelques années. La Cimade dénonce l’inaction complice des autorités françaises [3].
Il convient de rappeller que l’occupation illégale de Mayotte par la France, qui a dressé une frontière au milieu des îles comoriennes, tue régulièrement. Migreurop et d’autres rappellent que la militarisation de la frontière « n’a pas stoppé les déplacements ou les retours consécutifs à une expulsion vers Mayotte, mais a eu pour conséquence directe la mort en mer de milliers de personnes. [4] » De ces morts-là, imputables à la politique coloniale, il n’en sera pas question.

Mathieu Lopes

[1Lyannaj Kont Pwofitation - Collectif contre la "profitation"

[2L’état d’urgence pour renforcer la frontière de Mayotte, collectif Migrants outre-mer, 16/01/2016.

[3Mayotte : la chasse aux étrangers par la population est ouverte… et couverte, La Cimade, 21/04/2016.

[41995 – 2015 : des milliers de mort•e•s au large de Mayotte. Le « visa Balladur tue ! »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 257 - mai 2016
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