Quatre siècles après Galilée, pas besoin de sa
lunette astronomique pour percer un secret de
l’univers de la finance offshore : un des centres
gravitationnels de l’évasion fiscale se niche au coeur de
l’Union européenne.
La thèse n’est pas nouvelle, mais depuis le scandale
des « Luxleaks », elle est brillamment démontrée – et la
réaction des autorités judiciaires luxembourgeoises
n’est pas sans rappeler l’aveuglement d’une Inquisition
archaïque, tant l’absurde le dispute au grotesque
depuis le début du procès qui s’est ouvert au
Luxembourg le 26 avril. Le principe même est une
insulte au bon sens : deux anciens salariés de
PricewaterhouseCoopers (PwC), Antoine Deltour et
Raphaël Halet, et un
journaliste d’investigation
français, Edouard Perrin,
sont poursuivis pour avoir
révélé des centaines
d’accords fiscaux passés
avec le fisc luxembourgeois
et permettant aux
multinationales clientes de ce puissant cabinet
comptable d’échapper massivement à l’impôt. Les
multinationales ne sont aucunement inquiétées : PwC
s’est même constituée partie civile pour exiger des
dommages et intérêts à ceux qui, par leurs révélations,
font bouger les choses – bien trop lentement mais ils
n’y sont pour rien – au niveau des politiques
européennes de transparence fiscale. Rien de
surprenant, hélas, tant on sait que la révolution
copernicienne de notre système fiscal est lente à
s’accomplir.
Mais on en perd malgré tout son latin, tellement ce
procès est l’occasion de confessions incompréhensibles
: PwC qui disposait de papier à entête
du fisc
luxembourgeois pour faciliter le travail de validation
des accords soumis par le cabinet comptable. Le
fonctionnaire du fisc luxembourgeois concerné, absent
de tout le procès pour raison de santé, et son supérieur
qui invoque le secret fiscal pour ne pas répondre aux
questions de la Cour. Un commissaire luxembourgeois
qui perçoit une évidente intention de nuire dans les
motivations d’Antoine Deltour, car visiblement
« anticapitaliste » puisqu’abonné à une newsletter de
Mediapart et signataire d’une pétition contre les paradis
fiscaux. Des gendarmes français qui mentent à Raphaël
Halet sur le vol de sa voiture et le cambriolage de sa
maison pour le livrer plus facilement à PwC, qui obtient
qu’il signe un accord incluant un « mandat
d’hypothèque (…) à concurrence de 10 millions
d’euros » sur deux immeubles personnels, pour
s’assurer de sa collaboration dans la suite de l’enquête.
Un procureur et un président de tribunal
luxembourgeois qui s’opposent à toute question
d’ordre « politique » pendant le procès, sauf lorsqu’il
s’agit de rappeler que d’autres pays signent des accords
fiscaux similaires. Et le ministre des Finances Michel
Sapin qui se rengorge
hypocritement devant
l’Assemblée d’avoir
demandé à l’ambassadeur
de France au Luxembourg
de venir en aide à Antoine
Deltour, au lieu de
ferrailler en faveur de la
transparence fiscale face à une Commission
européenne présidée depuis 2014 par le Pape de
l’offshore...
Les audiences ont ainsi été de plus en plus
marquées par un objectif clair, celui de ne pas laisser de
vulgaires considérations idéologiques de justice fiscale
venir parasiter le procès en hérésie d’employés
coupables d’avoir refusé de participer à un siphonnage
en bande organisée des budgets publics. La doxa
financière ne tolère pas la divulgation d’informations,
comme en témoigne un nouveau commandement
explicite que 503 eurodéputés ont pieusement voté,
contre 131, pour inscrire dans le droit européen le
« secret des affaires », selon lequel il sera désormais
impossible de faire éclater pareil scandale. On se prend
alors à imaginer nos Galilée des temps modernes
abjurer leurs erreurs et réciter, pour échapper au
bûcher, que ce système industriel d’évasion fiscale est
une fable, et que ces multinationales n’ont rien fait de
tel. Puis, quittant la salle d’audience, lâcher
timidement : « Et pourtant elles volent ! ».