Survie

Statu quo en Kanaky

rédigé le 4 juin 2016 (mis en ligne le 27 septembre 2016) - Christian Darceaux

Pour la France, puissance coloniale, ce territoire s’appelle Nouvelle Calédonie, nom que lui avait donné l’Anglais James Cook, premier occidental à y accoster en 1774. Un référendum d’auto­détermination y est toujours attendu.

Manuel Valls s’est rendu en Kanaky le 29 avril. Poursuivant son voyage par une étape en Nouvelle Zélande, le Premier ministre n’était plus sur l’île le 5 mai, pour le 28ième anniversaire du massacre d’Ouvéa, où dix-­neuf Kanaks furent assassinés par les soldats français lors de l’assaut de la grotte où s’étaient réfugiés des indépendantistes qui avaient pris en otage des gendarmes de l’île.

Dépendance forte

Avant novembre 2018 devrait se tenir un référendum qui déciderait de l’avenir de cette colonie, inscrite depuis décembre 1986 dans les territoires à décoloniser par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Cette échéance devrait déterminer le statut futur : indépendance ou « autonomie » dans le cadre de la République Française.

L’ineffable Michel Rocard, partisan de « l’autonomie » comme l’immense majorité de la classe politique française, avait eu cette déclaration : « La Calédonie est déjà indépendante. Le concept ancien n’a plus de sens. Depuis Clovis (sic), l’indépendance, c’était la monnaie, l’armée, la justice. Voyez la France, elle est devenue plus forte en intégrant une monnaie commune à plusieurs pays, en alliant son armée à d’autres. La France a gagné en force en perdant en indépendance. ».

Jacques Nyiteij, membre du directoire du Parti Travailliste, parti indépendantiste radical fondé à l’initiative de l’USTKE (Union des syndicats des travailleurs kanaks et exploités, créé en 1981 pour porter les questions de l’indépendance dans le monde du travail), lui avait fait cette magnifique réponse : « Le monde que vous défendez, monsieur Rocard, n’est plus en crise. Il est moribond. Que nous proposez­-vous de ses enjeux actuels ? Le progrès ? La croissance ? La production matérielle et la consommation de masse ? L’Occident en profitera. Mais nous, que nous restera­-t­-il ? Les cancers de Mururoa et des guerres claniques pour que des multinationales se partagent le nickel de Goro ou l’exploitation halieutique ? (...) Ne pensez plus pour nous. Laissez­-nous venir à notre façon dans l’histoire du monde. Avec notre propre conscience de la terre, notre conception de la vie et du bonheur, de la place de l’homme parmi ses frères et du mode de satisfaction de ses véritables besoins. »

Cet échange n’a rien perdu de son acuité.

Bidonvilles coloniaux

Valls a annoncé des mesurettes, surtout pour soutenir les sociétés exploitantes du nickel, dont le cours, au plus bas, menace la « rentabilité ». Et le peuple kanak, occupant millénaire du « Caillou », comme les colonialistes aiment l’appeler, va continuer à être déculturé, marginalisé. Il n’est pas exagéré de parler d’ « ethnocide » à ce propos. « Nouméa la Blanche » est à cet égard un révélateur. Son opulence saute aux yeux, que ce soit par les constructions luxueuses, les voitures et les boutiques haut de gamme, les bateaux de plaisance dans les ports.

Autour de la ville, on trouve ce que l’on appelle là­-bas les « squats », sorte de bidonvilles en brousse, sans eau ni électricité où vivent une dizaine de milliers, peut-être plus, de personnes. Kanaks surtout, mais aussi Wallisiens attirés par d’hypothétiques emplois (personnels de service, pour beaucoup). La place des Cocotiers, en centre ville est souvent fréquentée par des Kanaks clochardisés. L’alcoolisme, la consommation de drogues locales ou d’importation font des ravages dans les populations indigènes.

Le sort dramatique qu’elles connaissent n’émeut guère dans l’Hexagone. Par méconnaissance, c’est certain. Mais aussi parce que dans l’immense majorité de la population (y compris à gauche de la « gauche ») existe inconsciemment l’idée que la France des Lumières, porteuse de « l’universalisme », ne peut apporter avec elle que les bienfaits de la « civilisation ». On concédera qu’il y a peut­-être des excès à corriger, à la marge, mais l’idée que notre façon de vivre, que notre façon de voir le monde peuvent heurter de plein fouet d’autres cultures jusqu’au chaos est absente. On soutiendra peut­-être l’idée d’indépendance, par principe, mais la conscience que, là­-bas et maintenant, le sort de dizaines de milliers de personnes, en tant que peuples, est en danger, qu’il y a urgence, aura du mal à émerger et à mobiliser.

Dés pipés

Avant novembre 2018, donc, référendum. Mais les dés sont pipés ! Louis Kotra Uregei, président du Parti Travailliste déclarait le 31 mars sur radio Djiido, en Kanaky : « c’est une fraude électorale, organisée, institutionnalisée et légalisée par les commissions de contrôle derrière. (...) J’accuse ces municipalités (Nouméa et les villes du Sud, à majorité « européennes », ndlr) d’avoir sciemment inscrit des électeurs sans avoir essayé de chercher s’ils pouvaient être inscrits ou pas, parce que politiquement c’était très important pour eux de faire en sorte qu’il y ait le plus de gens qui puissent voter et donc, ils sont inscrits. Ils savaient qu’au moment des contrôles par les commissions administratives, ils auraient la majorité et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont reconnu hier. »

Il est nécessaire pour comprendre de faire un point technique sommaire. Les accords successifs (dits « de Matignon » en 1988 et « de Nouméa » en 1998) avaient prévu le « gel » du corps électoral parce que l’arrivée régulière de populations non kanakes rendait de plus en plus minoritaires les Kanaks dans leur pays. Ces néo arrivants posent de nombreux problèmes. Bien que théoriquement, cela ne devrait pas être le cas, en fonction des textes en vigueur, ces nouveaux venus privent les populations locales des emplois dont elles devraient bénéficier. Les entreprises trouvent toujours un prétexte pour préférer une embauche autre que celle d’un indigène. Double avantage : ces salariés ne sont pas très exigeants, bien contents d’être embauchés (parfois au noir) et ils ne sont pas revendicatifs ! De plus, comme dit plus haut, nombre d’entre eux sont inscrits frauduleusement sur les listes électorales. Le tripatouillage des listes électorales n’est pas l’exclusivité de nos « amis » des gouvernements de la Françafrique !

L’avenir s’annonce donc bien incertain en Kanaky. Silencieux, le drame humain y est quotidien. Il n’est pas exclu hélas qu’il prenne des formes plus visibles comme par le passé. Le sort des peuples que nous colonisons encore, comme celui de ceux que nous avons colonisés, doit bénéficier de toute notre attention et d’une solidarité sans faille. Un défi de taille, que nous peinons encore à relever.

Article déjà publié dans une version antérieure par le FUIQP sur son site, www.fuiqp.org

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 258 - juin 2016
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