Le 6 juillet 2016, la Cour d’Assises de Paris a condamné deux anciens bourgmestres rwandais, Octavien Ngenzi et Tito Barahira, à la réclusion criminelle à perpétuité pour « génocide et crimes contre l’humanité ». Ce verdict, rendu « au nom du Peuple français », marque un pas supplémentaire vers la vérité et la justice.
Le procès d’Octavien Ngenzi et Tito Baharira s’est tenu du 10 mai au 6 juillet 2016 devant la Cour d’Assises de Paris. Ces longues semaines ont tout d’abord permis d’entendre des témoins dits de « contexte » qui ont indiqué que, lorsqu’il se déclenche le 6 avril 1994, le génocide des Tutsi du Rwanda est en gestation depuis de longs mois. Car « il n’y a pas de génocide sans État, sans préparation par un État », a déclaré l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau. Les conditions d’un génocide étaient réunies, en 1994, au Rwanda : un État tout-puissant, un contexte de guerre et une idéologie de haine. Un « plan concerté » d’extermination des Tutsi a été mis en œuvre, plan dont témoignent, selon la Cour, le caractère organisé et collectif des exécutions massives et étendues, l’existence de barrières dans l’en semble du pays, une propagande médiatique visant aux meurtres des Tutsi et l’ampleur du nombre de victimes en l’espace de trois mois.
Dans ce Rwanda sur-administré, les bourgmestres, nommés par le pouvoir, jouaient un rôle central. Tito Barahira avait occupé cette fonction à Kabarondo, commune de l’Est du Rwanda, de 1976 à 1986, et Octavien Ngenzi lui avait succédé. En 1994, Tito Barahira présidait localement le MNRD (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), longtemps parti unique au Rwanda. Comme ancien bourgmestre, il avait conservé une influence certaine au sein de la population. Comment croire les accusés quand ils se présentent comme des hommes tranquilles, notables ne s’occupant que de leurs familles pendant qu’à quelques mètres on tire au mortier, au fusil, on assassine, on coupe, on enterre dans une fosse commune des Tutsi encore vivants parfois...
Devant l’ampleur des tueries, qui trouble la pensée (comment entendre la mort de centaines, de milliers de personnes en une seule journée ?), il ne faut jamais oublier que chaque mort compte, que c’est à chaque fois un destin individuel brisé. Chacun des témoins a ainsi cité une longue liste de parents, de proches, d’amis exterminés.
A Kabarondo, le génocide commence le 7 avril 1994. Des réunions ont lieu dans un cabaret pour organiser les tueries, réunions auxquelles participent les accusés. Le 12 avril, Tito Barahira joue un rôle moteur dans plusieurs attaques menées ce jour-là dans différents secteurs de la commune. Les Tutsi menacés, mais aussi des Hutu, affluent à l’église, où ils sont bientôt plus de trois mille. Le 13 avril 1994, les miliciens extrémistes hutu lancent l’attaque. Tito Barahira est là, aux côtés des tueurs. A l’instigation du curé, l’abbé Incimatata, lui-même Tutsi, les réfugiés se défendent en lançant des pierres, ce qui fait provisoirement refluer leurs agresseurs.
Le bourgmestre Octavien Ngenzi fait alors chercher les militaires des Forces armées rwandaises. C’en est rapidement fini de la résistance des Tutsi, impuissants face aux armes lourdes (dont un mortier. Livré auparavant par la France ?) et aux grenades. Une dernière attaque par des assaillants munis de machettes et de gourdins cloutés se solde par le massacre des Tutsi survivants, après qu’un tri ait été opéré entre Tutsi et Hutu présents dans l’église. Le génocide a l’église de Kabarondo dure de 9 heures à 18 heures, ce 13 avril 1994 : « une éternité d’horreur », selon les mots de l’avocat général Philippe Courroye.
Dans les jours suivants les tueries continuent au centre de santé et dans un centre d’alphabétisation. Des fouilles et des rafles ont lieu en présence du bourgmestre Ngenzi. Une attitude qui contraste avec celle de son supérieur le préfet de Kibungo, Godefroy Ruzindana, Hutu lui aussi, tué le 15 avril parce qu’il s’opposait au génocide de ses compatriotes tutsi. Face à la menace de l’arrivée des troupes du Front Patriotique Rwandais dans cette commune proche de la ligne de front, Octavien Ngenzi fait procéder à l’enfouissement des corps, non pour les inhumer dignement, mais pour cacher les preuves du crime commis.
Selon les mots de l’avocat général, Octavien Ngenzi est « un dirigeant, un chef d’état-major, un organisateur ». Tito Barahira, quant à lui, est « un opérateur, un auxiliaire de la machette ». Enfermés dans le déni, aucun des deux n’exprimera de regrets. Un rendez-vous raté avec l’humanité, selon les mots de Philippe Courroye.