L’élection au Gabon vient de conclure un cycle de quatre scrutins présidentiels dans des pays clé de la Françafrique. Sans surprise, comme à Djibouti, au Tchad et au Congo-B, c’est le dictateur en place, Ali Bongo, qui s’est imposé par la triche et la force. Au Gabon comme ailleurs, les résultats ont été manipulés sans vergogne, avec, ultime pied de nez, un score ahurissant attribué au fils Bongo dans son fief, brandi comme un bras d’honneur aux observateurs, de la communauté internationale ou de l’opposition, qui croyaient peut-être aux chances d’une alternance par les urnes.
Pour coiffer sur le poteau cet opposant « in-time » défendu par une partie du clan et perçu comme « rassurant » par les milieux diplomatiques et économiques (l’Elysée et Total en premier lieu), Ali a dû se surpasser en arithmétique électorale. 99,93 % de participation dans le Haut Ogouué ! Seul Saddam Hussein avait osé faire mieux (ou pire, selon le point de vue), s’accordant un 100 % de participation (et de votes favorables !) lors de son plébiscite de 2002. Un score abradabrantesque !, comme aurait pu dire Jacques Chirac, expert en fraudes diverses, qui, lucide, déclarait en 1999 que si les dictateurs ne gagnaient pas les élections ils n’en organiseraient plus.
A un seul tour (le fameux « tour K.O » pour assommer l’opposition) ou en poussant jusqu’à deux, avec un score à la Saddam ou à la Ali Bongo, sous le seul vernis démocratique du pluripartisme, les scrutins frauduleux sont donc restés de mise dans les bastions traditionnels de la Françafrique, suscitant de nombreux dilemmes pour les électeurs, les candidats, et les observateurs internationaux : aller ou ne pas aller aux élections ? Accepter de couvrir ou d’observer une campagne ou la boycotter ? A quel moment de la campagne tirer le signal d’alarme ? Davantage que des missions d’observation d’organisations internationales, aux moyens (et aux objectifs réels) souvent en deçà des enjeux, seule l’organisation des forces d’opposition et de la société civile permet aujourd’hui de réduire la marge de triche ou de la démasquer. Et c’est bien un régime gabonais débordé, acculé qui a dû se contenter d’afficher seulement 5594 voix d’écart, avec pour seule marge de manœuvre le gonflement grossier du score d’une province, qui fournit aujourd’hui un argument solide pour ceux qui réclament un recomptage des voix. Mais face à l’arbitraire, aux blindés et aux hélicoptères, la vigilance des opposants, une fois de plus, n’a pas suffi. Le sang de ceux qui ont osé vouloir faire respecter le verdict des urnes a une nouvelle fois coulé et le Gabon ouvre une nouvelle page bien sombre.
Dans ce contexte tragique, les indignations sélectives et circonstancielles de la communauté internationale, et de la France en premier lieu, apparaissent comme de vaines gesticulations. Voire comme une injure envers les victimes lorsqu’elles émanent de responsables qui ont raillé, mais jamais contesté l’élection truquée d’Ali Bongo en 2009. Un dictateur jugé « fréquentable » comme quasiment tous les autres, qui a pu figurer sans difficultés sur les photos de famille des derniers Sommets UE-Afrique, a été reçu à plusieurs reprises à l’Élysée et a accueilli à Libreville plusieurs ministres français (Laurent Fabius, puis Annick Girardin et Ségolène Royal, il y a tout juste un an). Les journalistes et les diplomates qui voient aujourd’hui la dimension policière et répressive de ce régime s’étaler au grand jour, ne peuvent ignorer que les forces armées et la police gabonaises sont depuis toujours soutenues par la France, à travers des accords de coopération militaire et par la fourniture d’armes. « La Françafrique est dans notre dos », a répondu Jean-Marc Ayrault aux accusations en écran de fumée de soutien de la diplomatie française à Ping dénoncées par le pouvoir gabonais. Elle est en tout cas depuis trop longtemps sur celui des Gabonais, enfoncée tel un poignard que la France refuse de retirer, en maintenant son cordon sécuritaire et ses relations politiques et économiques avec le clan Bongo.