L’engagement de militaires français en Libye est un secret de polichinelle. Les hommes de main du Commande ment des Opérations Spéciales (COS) sillonnent depuis des années le désert du sud du pays, pour des missions et des résultats que le gouvernement ne daigne pas communiquer à l’ensemble des citoyens. On sait désormais, notamment grâce au quotidien Le Monde (24/02), que ces mêmes forces spéciales œuvrent désormais dans le nord du pays. Cette présence semi-officielle, que le ministère français de la Défense cherche désespérément à occulter, se double d’une autre totalement clandestine, celle des barbouzes du Service Action, le bras armé de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE, un des services secrets français). Le 20 juillet, l’existence de cette dernière a dû être pleinement assumée par l’exécutif, et pour cause : trois agents du Service sont morts dans le crash d’un hélicoptère. Selon l’agence de presse Associated Press, l’hélicoptère aurait été abattu par la Chambre des opérations pour la libération d’Ajdabya, un groupe armé lié à la Brigade de défense de Benghazi (lemonde.fr, 21/07). Mais pour la France, il s’agit seulement d’un accident d’hélicoptère...
C’est que celle-ci se retrouve dans une position délicate : officiellement, elle soutient le gouvernement d’union nationale libyen, mis en place sous le patronage de l’ONU et dirigé par Fayez el-Sarraj, qui s’est installé à Tripoli fin mars 2016. Ce gouvernement est en conflit avec le Parlement de Tobrouk, ce qui bloque le retour à un gouvernement unique en Libye [1]. Or, auprès de qui étaient engagés les hommes du Service Action ? Auprès des forces du Parlement de Tobrouk, dirigé par le controversé général Khalifa Haftar et soutenu par l’Egypte [2] ! Ou comment mettre en lumière le double discours de la France, qui annonce d’un côté soutenir la solution politique mise en place sous l’égide de l’ONU, et de l’autre maintient sa coopération militaire avec la faction qui empêche la pleine installation du gouvernement issu de cette solution politique. Devant tant de duplicité, le gouvernement d’union nationale libyen n’a pas manqué de demander des comptes aux autorités françaises (lefigaro.fr, 26/07). Pour se justifier auprès de leur opinion publique nationale, celles-ci ont invoqué les nécessités de la « lutte contre le terrorisme », élément de langage censé justifier tous les coups tordus.
Analyse tardive
« Nous aurions dû nous en tenir à la résolution des Nations unies. Mais nous sommes allés bien au-delà. Ce fut une erreur d’analyse », a expliqué le 13 juillet l’ancien Premier ministre François Fillon au sujet de la guerre que la France et l’Otan ont mené contre le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Même si l’« erreur d’analyse » a bon dos en matière de violation délibérée du droit international, c’est néanmoins « la toute première fois qu’un responsable français de ce niveau admet aussi clairement que l’ancien premier ministre britannique, David Cameron, et l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, ont détourné la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en février 2011 », comme le remarque Le Monde Afrique (21/07). Ne reste plus qu’à faire la liste de toutes les autres résolutions des Nations Unies que la France a interprétées de manière un peu trop élastique pour couvrir ses opérations extérieures, depuis le Rwanda en 1994 au Mali en 2013, en passant par la Côte d’Ivoire en 2011...
[1] Suite à la chute de Kadhafi en 2011, le pays est divisé principalement entre deux entités politiques rivales, l’une siégeant à Tobrouk à l’Est, l’autre à Tripoli à l’Ouest. Le gouvernement d’union nationale vise à se substituer à ces deux factions, pour que le pays retrouve une unité politique (au moins de façade...). Cf. Billets d’Afrique n°253, janvier 2016)
[2] Très impliquée dans la crise libyenne, l’Égypte a été épinglée par le Groupe d’experts des Nations Unies chargé de la surveillance de l’embargo sur les armes imposé au pays, notamment pour avoir fourni aux forces de Khalifa Haftar... des hélicoptères !