Survie

Trois morts qui font tâche

rédigé le 9 septembre 2016 (mis en ligne le 1er novembre 2016) - Yanis Thomas

L’engagement de militaires français en Libye est un secret de polichinelle. Les hommes de main du Commande­ ment des Opérations Spéciales (COS) sillonnent depuis des années le désert du sud du pays, pour des missions et des résul­tats que le gouvernement ne daigne pas communiquer à l’ensemble des citoyens. On sait désormais, notamment grâce au quoti­dien Le Monde (24/02), que ces mêmes forces spéciales œuvrent désormais dans le nord du pays. Cette présence semi­-officielle, que le ministère français de la Défense cherche désespérément à occulter, se double d’une autre totalement clandestine, celle des barbouzes du Service Action, le bras armé de la Direction Générale de la Sé­curité Extérieure (DGSE, un des services se­crets français). Le 20 juillet, l’existence de cette dernière a dû être pleinement assu­mée par l’exécutif, et pour cause : trois agents du Service sont morts dans le crash d’un hélicoptère. Selon l’agence de presse Associated Press, l’hélicoptère aurait été abattu par la Chambre des opérations pour la libération d’Ajdabya, un groupe armé lié à la Brigade de défense de Benghazi (le­monde.fr, 21/07). Mais pour la France, il s’agit seulement d’un accident d’hélico­ptère...

C’est que celle­-ci se retrouve dans une position délicate : officiellement, elle soutient le gouvernement d’union nationale li­byen, mis en place sous le patronage de l’ONU et dirigé par Fayez el­-Sarraj, qui s’est installé à Tripoli fin mars 2016. Ce gouverne­ment est en conflit avec le Parlement de To­brouk, ce qui bloque le retour à un gouvernement unique en Libye [1]. Or, auprès de qui étaient engagés les hommes du Ser­vice Action ? Auprès des forces du Parlement de Tobrouk, dirigé par le controversé géné­ral Khalifa Haftar et soutenu par l’Egypte [2] ! Ou comment mettre en lumière le double discours de la France, qui annonce d’un côté soutenir la solution politique mise en place sous l’égide de l’ONU, et de l’autre maintient sa coopération militaire avec la faction qui empêche la pleine installation du gouvernement issu de cette solution politique. Devant tant de duplicité, le gouvernement d’union nationale libyen n’a pas manqué de demander des comptes aux autorités fran­çaises (lefigaro.fr, 26/07). Pour se justifier auprès de leur opinion publique nationale, celles-­ci ont invoqué les nécessités de la « lutte contre le terrorisme », élément de langage censé justifier tous les coups tordus.

Analyse tardive

« Nous aurions dû nous en tenir à la résolution des Nations unies. Mais nous sommes allés bien au-­delà. Ce fut une er­reur d’analyse », a expliqué le 13 juillet l’ancien Premier ministre François Fillon au sujet de la guerre que la France et l’Otan ont mené contre le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Même si l’« erreur d’analyse » a bon dos en matière de viola­tion délibérée du droit international, c’est néanmoins « la toute première fois qu’un responsable français de ce niveau admet aussi clairement que l’ancien premier mi­nistre britannique, David Cameron, et l’ancien président français, Nicolas Sar­kozy, ont détourné la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en février 2011 », comme le remarque Le Monde Afrique (21/07). Ne reste plus qu’à faire la liste de toutes les autres résolutions des Nations Unies que la France a interpré­tées de manière un peu trop élastique pour couvrir ses opérations extérieures, depuis le Rwanda en 1994 au Mali en 2013, en pas­sant par la Côte d’Ivoire en 2011...

[1Suite à la chute de Kadhafi en 2011, le pays est divi­sé principalement entre deux entités politiques ri­vales, l’une siégeant à Tobrouk à l’Est, l’autre à Tripoli à l’Ouest. Le gouvernement d’union nationale vise à se substituer à ces deux factions, pour que le pays re­trouve une unité politique (au moins de façade...). Cf. Billets d’Afrique n°253, janvier 2016)

[2Très impliquée dans la crise libyenne, l’Égypte a été épinglée par le Groupe d’experts des Nations Unies chargé de la surveillance de l’embargo sur les armes imposé au pays, notamment pour avoir fourni aux forces de Khalifa Haftar... des hélicoptères !

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 260 - septembre 2016
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