Survie

Anniversaires et pertes de mémoire

rédigé le 1er novembre 2016 (mis en ligne le 1er novembre 2016) - Thomas Noirot

Le 26 octobre, François Mitterrand aurait eu 100 ans : un anniversaire que s’est empressé de célébrer le pouvoir socialiste actuel, en mal de reconnaissance. Au Cameroun, il faudra attendre 2033 pour fêter les 100 bougies du dictateur Paul Biya : 2033, c’est seulement 2 ans avant l’émergence qu’il a promise à son pays, annoncée sans rire pour 2035. Mais dès ce 6 novembre, on a pu célébrer le 34ème anniversaire de son accession au pouvoir – seulement un an et demi après celle de Mitterrand en France –, lui qui disait ouvrir l’ère du « renouveau ». Un tiers de siècle plus tard, ce renouveau prend une fois de plus un visage macabre, aujourd’hui ce­lui d’une catastrophe fer­roviaire impliquant l’une des sociétés de son grand ami français Vincent Bol­loré.

Le 3 novembre, l’Ely­sée aurait pu commémo­rer un autre anniversaire : celui de l’assassinat à Genève de Félix Moumié, empoison­né par un agent des ser­vices français. Mais ce leader indépendantiste, éliminé par la France comme son compagnon de lutte Ruben Um Nyo­bè deux ans plus tôt, n’a pas le droit à d’autres hom­mages que celui de quelques militants camerounais qui doivent, le plus souvent, autant se battre pour joindre les deux bouts que pour résister à un système politique pervers, où la corruption et la prime à l’in­compétence remplacent le plus souvent la matraque. Cette dernière n’est jamais bien loin pour autant : pour preuve, une semaine après le « vendredi noir » de l’accident de train, une quarantaine de personnes ont été arrêtées à Yaoundé lors d’une conférence organisée par Sand up for Cameroun, mouvement dont les membres s’habillent depuis des mois en noir tous les vendredis, et appellent la population à faire de même pour exprimer leur rejet du système Biya. Mais le silence continue de s’imposer et, sans surprise, au­cun officiel français n’a évoqué le souvenir de Félix Moumié : les quelques secrets qui entourent encore son élimination, comme tous ceux liés à la guerre d’indépendance du Cameroun, restent avec tous les autres cadavres de la Françafrique, dans le placard des archives classifiées.

Alors, avec le pouvoir socialiste actuel, rendons hommage au palmarès françafricain de François Mit­terrand. Rappelons qu’avant même l’assassinat de Sankara ou la complicité de génocide au Rwanda, il fut le président français qui permit, en novembre 1982, qu’Ahmadou Ahidjo cède son fauteuil de dictateur à Paul Biya, aujourd’hui oc­togénaire qui a dû ouvrir une bonne bouteille à la mémoire du centenaire. Il faut dire que « Tonton » était déjà le ministre de la France d’outre­mer qui, à 34 ans, avait convaincu l’ambitieux leader ivoirien Félix Houphouët­-Boigny d’abandonner le panafrica­nisme et les mouvements de luttes émancipatrices des autres pays, dont le Ca­meroun, pour se rallier à la France coloniale. Comme l’écrivaient en 2011 les au­teurs de Kamerun ! : « Ce retournement discret, qui marquera l’avenir d’un continent, n’est le fait que de quelques hommes. "J’ai conduit ma politique en Afrique noire jusqu’à un seuil de non­-retour grâce à l’indifférence des milieux métropolitains et à l’inat­tention générale", analysera Mitterrand quinze an­nées plus tard » [1]. Un grand homme dont s’inspirent toujours les gouvernants actuels.

[1Deltombe, T., Domergue, M., Tatsitsa, J. [2011] Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948­-1971), La Décou­verte, Paris (page 132).

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 262 - novembre 2016
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