Le régime du président Pierre Nkurunziza procède à une manipulation identitaire croissante pour mettre en avant « l’appartenance » aux groupes hutu et tutsi. Il favorise une propagande de haine « ethnique ». Meurtres et disparitions ciblées sont qualifiés de « prégénocidaires » par beaucoup de défenseurs des droits de l’Homme.
Dans cette région des Grands Lacs déjà fragilisée par la crise politique en République Démocratique du Congo (voir Billets n° 262, novembre 2016) et toujours marquée par les cicatrices du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994, la situation du Burundi ne peut que susciter les plus graves inquiétudes.
Ce pays d’Afrique centrale a lui-même connu dans son histoire récente plusieurs massacres à très grande échelle. En 1972, l’extermination d’un peu plus d’un millier de Tutsi provoque les représailles de l’armée burundaise majoritairement tutsi, contre l’élite hutu, faisant au total cent à deux cent mille morts. En 1993, l’assassinat du premier président démocratiquement élu du pays, le Hutu Melchior Ndadaye, déclenche une guerre civile où environ 300 000 Burundais sont tués. En 2000, l’accord d’Arusha permet le retour progressif de la paix par le partage du pouvoir.
En 2005, Pierre Nkurunziza, chef des Forces pour la défense de la démocratie (FDD), la principale rébellion à dominante hutu, ralliée sur le tard à l’accord d’Arusha, devient président du Burundi. Au terme de son second mandat, il prétend, en avril 2015, se présenter une fois de plus, ce qu’interdit la Constitution. La société civile burundaise, Hutu et Tutsi confondus, se mobilise contre ce coup de force. La répression est meurtrière. Elle vise d’abord les manifestants et les opposants. Une tentative avortée de coup d’État, le 13 mai 2015, donne au régime le prétexte d’une répression qui ne cesse de s’amplifier. Pierre Nkurunziza est réélu le 21 juillet 2015 lors d’un scrutin dépourvu de légitimité.
Le pouvoir s’appuie sur la police et la milice Imbonerakure (organisation de jeunesse du parti présidentiel). L’armée est violemment épurée. Des dizaines de membres des ex-Forces armées burundaises, ces soldats de l’ancienne armée à dominante tutsi, sont arrêtés, mutés ou assassinés.
Dans leur rapport conjoint, Burundi : une répression aux dynamiques génocidaires, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue Iteka (ligue burundaise des droits de l’Homme) estiment que « Le Burundi connaît depuis avril 2015, date du déclenchement des grandes manifestations populaires pour s’opposer à la volonté du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, une crise politique violente qui se manifeste par une répression sanglante orchestrée par les autorités en place. À cette violence d’État, des groupes armés rebelles ont répondu en menant des campagnes d’attaques et d’assassinats ciblés, contribuant à alimenter le cycle de la violence. La répression menée par les services de sécurité et les Imbonerakure – l’organisation de jeunesse du parti au pouvoir dont les membres agissent comme leurs supplétifs – vise principalement à conserver le pouvoir par tous les moyens. Le bilan humain est, à ce jour, de plus de 1 000 morts, 8 000 personnes détenues pour des motifs politiques, 300 à 800 personnes disparues, des centaines de personnes torturées, plusieurs centaines de femmes victimes de violence sexuelle, et des milliers d’arrestations arbitraires. Ces exactions sont commises majoritairement par les forces de sécurité burundaises et ont déjà poussé plus de 310 000 personnes à fuir le pays. »
« #ThisIsMyGenocide »
Le 20 septembre 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme rend un rapport accablant pour le régime de Pierre Nkurunziza. La réaction est rapide et brutale : dénonciation du rapport, suspension de la coopération du Burundi avec le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, retrait du Burundi de la Cour pénale internationale (CPI). Le 22 novembre, le gouvernement burundais lance le hashtag « #ThisIsMyGenocide » pour décrédibiliser le rapport de la FIDH et de la Ligue Iteka.
Ces deux organisations notaient en effet : « Si le projet originel du président Nkurunziza et des cercles dirigeants burundais semblait être la conservation du pouvoir, force est de constater qu’ils engagent tous les moyens à leur disposition pour y parvenir. Ainsi, tous les critères et les conditions de la perpétration d’un génocide sont en place : une idéologie, une intention, des organes de sécurité et des relais de mobilisation notamment via des milices, un ciblage des populations à éliminer, des justifications historiques pour le faire. Si les Tutsi ne sont pas les seuls visés par le régime, le ressort ethnique est suffisamment instrumentalisé pour qualifier la situation actuelle au Burundi de répression aux dynamiques génocidaires. Nos organisations alertent sur le risque que ces dynamiques s’intensifient et puissent mener à la commission d’un génocide au Burundi. »
Les propos du président du Sénat du Burundi le 30 octobre 2015, devant les Imbonerakure, étaient déjà sans ambiguïté : « Vous devez pulvériser, vous devez exterminer ces gens [...] Attendez le jour où l’on dira : « Travaillez ! », vous verrez la différence ! »
Il est urgent d’agir
Les autorités burundaises se montrent insensibles aux pressions internationales. Elles ont refusé la venue, décidée en décembre 2015 par l’Union africaine, d’une force de 5 000 soldats de la paix, considérant ce déploiement comme une invasion. En avril 2016, le Bureau du Procureur de la CPI a lancé une investigation préliminaire sur les crimes commis au Burundi. Le 29 juillet 2016, le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé la venue de 228 policiers de l’ONU, une initiative également rejetée par le régime.
Dans une formulation toute onusienne, le conseiller spécial de l’ONU pour la prévention du génocide, Adama Dieng, lui même ancien greffier du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, a déclaré à L’Humanité (23/11/2016) : « Si [l’État burundais] n’arrive pas à protéger son peuple face aux risques de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, alors la communauté internationale aura le devoir d’intervenir pour protéger cette population. »
Face à l’intransigeance du régime de Pierre Nkurunziza, souhaitons que la communauté internationale tire les leçons de 1994. La volonté qui a manqué à l’époque pour empêcher le génocide des Tutsi au Rwanda ne doit pas faire défaut aujourd’hui.