Durant le génocide des Tutsi du Rwanda, d’avril à juillet 1994, des adhérents de Survie et leurs amis se sont mobilisés, dans les groupes locaux comme à Paris. Aux Invalides, ils ont marché en cercle pendant des semaines pour dénoncer un monde qui ne tournait pas rond à être ainsi indifférent au pire. En octobre 1994, dans son ouvrage Complicité de génocide ? [1], François-Xavier Verschave alertait sur le risque que ce génocide soit occulté, nié, et avec lui la mémoire des victimes, la culpabilité des auteurs et complices. Il évoquait déjà le nom de Pascal Simbikangwa, qui ne sera arrêté que 15 ans plus tard, à Mayotte.
La France est hélas une terre d’accueil pour un grand nombre de personnes suspectées d’avoir commis le génocide ou d’en avoir été complices. Comme le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) et d’autres organisations, Survie s’est donc donné les moyens d’ester en justice pour les poursuivre.
Survie a été partie civile lors des premiers procès en France : en 2014, au procès en première instance de Pascal Simbikangwa, dont le procès en appel vient de se terminer ; mais aussi en 2015, au procès des deux bourgmestres Octavien Ngenzi et Tito Baharira.
Notre présence à ces procès n’est ni une revanche ni une vengeance mais une étape nécessaire pour faire avancer la vérité, pour obtenir justice. Pour que les victimes et leurs proches ne puissent plus se faire narguer par leurs bourreaux, être menacés s’ils témoignent. Pour que les enfants des victimes ne tremblent plus en entendant des sifflets qui leur rappellent ceux des Interhamwe quand ils poursuivaient leurs parents, pour que les enfants des tueurs sachent que le cycle s’est arrêté là.
La conséquence de l’impunité pour les tueurs et pour ceux qui les ont armés, c’est l’encouragement à perpétrer à nouveau le crime, à utiliser à nouveau la haine comme moyen de gouverner. Le génocide de 1994 a été possible, car les meurtriers des tueries précédentes n’avaient pas été arrêtés, jugés, condamnés. Comme Me Simon Foreman, avocat du CPCR, l’a rappelé lors de l’audition de l’ex-Colonel Michel Robardey, un ancien gendarme français venu témoigner en faveur de Simbikangwa, les 400 personnes arrêtées car suspectées des massacres du Bugesera en 1992 (un des préludes du génocide) avaient été relâchées sans jugement, ni condamnation. Et comme le Professeur Dégni-Segui l’a souligné devant la Cour, « lorsqu’ils tuaient, les gens étaient si sûrs de l’impunité qu’ils le faisaient à visage découvert ».
Pour arriver à une première condamnation d’un génocidaire sur le sol français, il a fallu la mobilisation de ces milliers de personnes qui se sont relayées pour faire connaître l’histoire et les conséquences du génocide à leurs concitoyens, d’âge divers, de milieux sociaux variés, certains qui connaissaient le Rwanda, certains qui avaient rencontrés des rescapés, des chercheurs, mais aussi des personnes qui portaient parfois dans leur histoire personnelle le refus de l’impunité. Bref, des personnes qui se sentaient concernées par les crimes contre l’Humanité et le génocide, parce que ces crimes concernent tout être humain. Beaucoup n’avaient pas 20 ans en 1994, ils ont décidé que ce combat était le leur. Et qu’il fallait agir, sans se décourager, même s’il faudrait attendre plus de 20 ans pour obtenir des condamnations sur le sol français.
Pour ces militants contre l’impunité, qui depuis 1994 mènent ce combat sur leurs heures de liberté, de sommeil, leurs week-ends, leurs soirées, avec l’appui d’avocats dévoués et désintéressés, il est primordial de savoir que la mobilisation n’a pas été vaine, que ce génocide est entré dans la conscience de tous, que la Justice française, incarnée par des jurys composés de citoyens, s’attache à reconnaître ce crime et à en condamner ces auteurs. C’était bien l’enjeu du premier procès de Pascal Simbikangwa et de ce second verdict le 3 décembre, en appel, qui a confirmé sa condamnation à 25 ans de détention.
Laurence Dawidowicz, porte-parole de Survie lors de ce procès
[1] Réédité en 2014 aux Arènes, sans le point d’interrogation dans le titre.