Survie

ANTI-ANTI-SYSTème

rédigé le 5 avril 2017 (mis en ligne le 26 juin 2021) - Mathieu Lopes

En ces temps de confusion politique où des candidat.es peuvent se revendiquer « ni de droite, ni de gauche » ou d’extrême centre, Marine Le Pen est venue en rajouter une couche en promettant de mettre fin à la Françafrique. Dans les pas de ses prédécesseurs présidentiables, elle lance là une promesse qui serait aussi probablement trahie dès son éventuelle élection. Suite à ces propos tenus lors d’une visite auprès du président tchadien Idriss Déby, elle s’est affichée auprès des militaires de l’opération Barkhane, déployés dans la zone sahélienne. Du soutien ouvert à un dictateur opprimant son peuple au soutien de l’occupation française de l’Afrique, les faits indiquent pourtant que la présidente du Front national ferait finalement une françafricaine très académique et non pas une rebelle "anti-système".
Comme en bien d’autres domaines, c’est probablement au bilan des pouvoirs successifs en France qu’on doit le paradoxe que l’extrême-droite puisse ainsi surfer sur l’anti-colonialisme. De Chirac à Hollande, tous ont fait perdurer la Françafrique, en l’accompagnant parfois de transformations toutes cosmétiques, quand il ne s’agissait pas de purs retours en arrière. Ainsi on a vu Hollande religitimer et renforcer les guerres et l’occupation militaire des anciennes colonies africaines.
Dans le même temps, les affaires judiciaires ont continué de s’accumuler autour de l’ensemble de la classe politique. Et même si le Front national y est aussi mêlé, il bénéficie étrangement d’une certaine mansuétude médiatique. Il peut ainsi prétendre récolter les fruits électoraux de colères toutes légitimes. Car ce n’est pas la dénonciation des faits qui ferait « le jeu du FN » mais bien les faits eux-mêmes.
Ce mois d’avril est l’occasion de faire le bilan amer que l’État a maintenu les verrous sur l’avancée de la justice et de la vérité dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et la complicité française dans ce crime. Les soldats violeurs en Centrafrique ne seront probablement pas inquiétés, bénéficiant à la fois de la protection effective des tribunaux tricolores et du renforcement des mécanismes législatifs d’impunité. Les politiciens passent mais les hauts-gradés de l’armée restent. Empreints d’idéologies racistes et coloniales, ils peuvent compter sur l’entêtement traditionnel des gouvernements à protéger « l’honneur » de la France et de son armée.
Toujours persuadés qu’un « sursaut » des urnes protègera indéfiniment les grands partis de l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir, les socialistes ont continué comme avant, quand ils n’ont pas appliqué eux-mêmes les politiques frontistes. Le racisme continue de tuer, par les balles de la police en France, ou celles des militaires déployés en opérations extérieures.
Aucun.e candidat.e susceptible d’accéder prochainement au trône ne s’attaquera véritablement au système néolibéral, répressif, néocolonial entre autres qualificatifs qu’il faut toujours rappeler pour contrer l’ambiguïté savamment entretenue par le FN. Nous ne pourrons compter que sur nos luttes et nos solidarités, en Europe comme en Afrique.
Mathieu Lopes

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 266 - mars-avril 2017
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