Voilà plus de quatre mois qu’un important mouvement de protestation s’est déclaré dans les régions anglophones, situées à l’ouest du Cameroun.
Historiquement colonie allemande, le territoire du Cameroun fut partagé à l’issue de la première guerre mondiale entre les Français et les Anglais, dans la proportion de 2/3 / 1/3. L’Ouest, bordant la frontière avec le Nigeria, fut mis sous tutelle anglaise, le Centre, le Sud, l’Est et le Nord, sous tutelle française. Après l’accès à l’indépendance du Cameroun français, le 1er janvier 1960, la conférence de Foumban, en 1961, décida du sort du Cameroun anglophone. L’extrême Nord anglophone choisit de rejoindre le Nigeria, tandis que la partie sud forma avec le Cameroun francophone un État fédéral. Le 20 mai 1972 le président Ahidjo par un pseudo referendum, mais véritable annexion, constitue un État unifié. Le gouvernement de cet État est largement dominé par les francophones. Même si le Premier ministre est traditionnellement anglophone, c’est le président Paul Biya et son entourage qui monopolisent les principaux leviers du pouvoir et cela depuis 35 ans.
L’irrédentisme a toujours été vivace dans la population anglophone, avec des flambées périodiques de troubles. Le style de la dictature françafricaine provoque l’exaspération des anglophones.
En novembre 2016, les avocats puis les enseignants, élèves et étudiants du Cameroun anglophone se mettent en grève pour protester contre une administration théoriquement bilingue mais en fait francophone. Le mouvement s’étend et les manifestations mobilisent la population dans des journées villes mortes. Biya réagit par la répression brutale et fait tirer à balles réelles sur les manifestants, faisant 6 morts à Bamenda le 8 décembre.
Le Consortium de la société civile anglophone et le SCNC (Southern Cameroon National Council) sont interdits le 17 janvier. Les leaders anglophones sont pourchassés et trois d’entre eux, l’avocat Agbor Balla, l’universitaire Fontem Neba et l’activiste Mancho Bibixy, sont arrêtés et traduits devant un tribunal militaire pour terrorisme. Le jour du procès, le 1er février à Yaoundé, le public notamment anglophone et les journalistes se pressent aux portes du tribunal. Tout le monde est chassé sauf la CRTV, radio-télévision d’État. Un journaliste de la BBC qui avait rendu compte de cette scène, est mis en garde à vue au SED (secrétariat d’État à la défense). Le procès est remis à plus tard.
Après avoir nié l’importance de la protestation anglophone, le pouvoir prétend engager le dialogue. Il a délégué le Premier ministre anglophone Philémon Yang à cette tâche. Il faut dire que « dialogue » en langage gouvernemental camerounais signifie ralliement au point de vue du pouvoir et rien d’autre. Pendant ce temps la chasse aux activistes se poursuit, arrestations, tortures, disparitions, la sinistre litanie de la répression prétend museler la revendication anglophone. En vain. D’autres mesures extrêmes sont mises en œuvre. Depuis le 17 janvier, internet est coupé dans les régions de Buéa et de Bamenda. Les fournisseurs d’accès, Camtel, MTN, Orange, Nexttel, disent agir sur instruction du gouvernement, lequel menace de poursuites pour désinformation et diffusion de fausses nouvelles les acteurs des réseaux sociaux. La mesure a paralysé toute l’économie numérique dans l’Ouest, particulièrement le secteur bancaire, mais reste sans effet sur une révolte que rien ne semble pouvoir éteindre.
La revendication anglophone porte au minimum sur le retour au fédéralisme pour les plus modérés mais, pour les plus radicaux du SCNC, l’objectif est l’indépendance. La crise ne peut que s’aggraver, dans le silence quasi total des médias français. L’ambassadeur de France au Cameroun, bien loin de rappeler au respect des droits de l’homme, comme l’ont fait les USA, s’est félicité, dans une récente entrevue avec Paul Biya, de l’évolution en cours grâce au « dialogue » engagé par les autorités.
Odile Tobner