Survie

France anti-raciste

rédigé le 8 mai 2017 (mis en ligne le 21 mai 2017) - Thomas Noirot

Quinze ans après Jean­-Marie, Marine Le Pen est arrivée au deuxième tour, et les analyses vont bon train : la « dédiabolisation » ou la « normalisation » du FN, l’anesthésie progressive... La rue est restée atone, mais on ne peut pas en dire autant des réseaux sociaux, des blogs et des listes d’échange de courriels : on y a débattu, on y a donné des injonctions, on s’y est parfois invectivé. Voter pour « faire barrage » ? Ne pas voter ? Dénoncer le « ni­ni » ? Prôner l’abstention ? Avec, dans la mobilisation rassurante d’une fable renouvelée, cette affirmation en creux : le FN est un parti raciste et fasciste tandis que la France, la vraie, la belle, celle des Lumières et de l’universalisme des droits humains, « ce n’est pas ça », voyons. Rassurons­-nous collective­ ment : la société française est victime du populisme de Le Pen, elle ne pourrait pas donner d’elle­-même prise à une idéologie de repli sur soi, au rejet de l’autre parce qu’il est autre – pour ne pas avoir à dire « inférieur », ce serait immoral. La France est « le pays des droits de l’Homme », d’ailleurs nous ne discutons pas avec la Corée du Nord, car nous portons haut et fort « nos valeurs ».

Pendant deux semaines d’un entre deux tours révélateur de l’état de notre démocratie, on a vu des ami.e.s, des compagnons de luttes sociales s’écharper pour savoir qui, d’une apparatchik d’un parti à l’ADN fascisant ou de l’archétype de ce que peut produire l’oligarchie financière pour garantir notre « bonne gouvernance », est le plus menaçant. Mais en toile de fond, ces débats ont, une fois de plus, donné l’impression de reléguer l’acception collective du racisme à la figure tristement caricaturale du crâne rasé qui traite de « bougnoule » un journaliste d’origine algérienne ou de « bamboula » un suspect noir arrêté et violé à la matraque. Quant à la porosité de la société française au fascisme, elle semble moins nous interpeller, collectivement, lorsqu’elle ne concerne que des peuples « moins développés » – « inférieurs » ? –, c’est­-à­-dire quand l’État français s’acoquine avec les régimes comptant parmi les plus brutaux et tyranniques que l’on puisse trouver aujourd’hui sur cette planète – du Congo au Yemen en passant par le Cameroun, de la Mauritanie à l’Arabie Saoudite en passant par le Tchad. Une fois de plus, l’électorat français rejette majoritairement la menace frontiste – à raison. Mais pour une large part, il le fait une fois de plus en se drapant dans ses belles certitudes de « fraternité » et « d’égalité », sans questionner son imaginaire colonial et le racisme latent qui structurent notre pensée collective et notre vie politique. De Mélenchon à Dupont­-Aignan, de Macron à Le Pen, on aura une fois de plus invoqué les figures paternelles de De Gaulle et de Mitterrand sans même imaginer que le paternalisme et le racisme qu’elles incarnent sont une insulte à la face de celles et ceux qui subissent encore au quotidien le fardeau d’une histoire impériale renouvelée.

Hasard ou coup de génie de la programmation, la chaîne de télévision Arte diffusait mardi 25 avril « Je ne suis pas votre nègre », une superbe mise en images et en sons par Raoul Peck d’un texte inédit de l’écrivain américain James Baldwin, qui nous transporte dans les luttes de l’anti­racisme états­-unien des années 1960. « Toutes les Nations occidentales se sont empêtrées dans un mensonge, celui de leur prétendu humanisme. Ce qui veut dire que leur histoire n’a aucune justification morale », constate Baldwin. Ce même mensonge humaniste d’une France qui fait barrage au racisme et au fascisme.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 267 - mai 2017
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