Treize ans après son déclenchement, l’opération des Nations unies achèvera son retrait de Côte d’Ivoire le 30 juin, tandis que le pays connaît un pic d’instabilité.
Depuis 2003, les casques bleus de l’ONU ont servi de paravent à l’action militaire de la France qui est toujours restée à l’initiative des décisions présentées comme celles de la « communauté internationale » et les militaires français n’ont jamais été placés sous commandement onusien.
Dans son rapport final sur l’Onuci (S/2017/89 du 31/01), le Secrétaire général de l’ONU conclut par des éloges au « Gouvernement et [au] peuple ivoiriens [...] pour leur remarquable résilience et pour l’usage excellent qu’ils ont fait de l’appui que leur offraient les partenaires internationaux afin de rétablir la paix et la stabilité dans leur pays ». Les populations massacrées en mars 2011 à Duékoué (environ neuf cents morts) sans que les deux cents casques bleus voisins, pourtant avertis, ne réagissent, ne sont plus là pour répondre au compliment pas plus que les réfugiés du camp de Nahibly - mis à sac en juillet 2012.
Ce retrait de l’ONU intervient alors que la Côte d’Ivoire est en proie depuis le début de l’année aux protestations armées des anciens rebelles - qui avaient installé Alassane Ouattara au pouvoir en 2011, dans le sillage de l’armée française, moyennant des promesses de primes importantes. Les mutineries du mois de janvier (cf. Billets n°265) avaient débouché sur un accord en faveur des 8 400 ex-rebelles intégrés dans l’armée, divulgué par les mutins, et qui s’était concrétisé rapidement avec un premier versement de 5 millions de FCFA, le reste devant suivre dans les mois suivants.
Jusqu’à ce que le 11 mai, lors d’une cérémonie au palais présidentiel, un mutin sorti de nulle part, le sergent Fofana, fasse amende honorable devant le président Ouattara et renonce, au nom des mutins, au reste de l’ardoise. Fatigué, usant d’un style compassé, se posant selon ses propres termes en « père de la Nation », Alassane Ouattara confie alors aux Ivoiriens combien les mutineries du mois de janvier l’ont meurtri. La réaction à cette mise en scène saugrenue n’a pas tardé. Dès le lendemain 12 mai, les ex-rebelles intégrés déclenchaient de nouveau quatre jours de mutineries pour réclamer le reliquat de leurs « primes ». La Lettre du Continent (17/05) affirme que Ouattara « a menacé de démissionner de sa fonction, le 15 mai, face à l’incurie de son entourage et de la hiérarchie militaire ». Le bilan de cette nouvelle mutinerie serait de 4 morts et une dizaine de blessés parmi les civils qui s’y sont opposés (Amnesty, 24/5). Un nouvel accord a été annoncé le 16, mais signe de la fragilité du pouvoir actuel, le gouvernement refuse d’en indiquer le contenu, comme s’il s’agissait d’une remise de rançon inavouable. Selon Mediapart (8/6), c’est le Maroc qui aurait avancé l’argent nécessaire.
Le général français Bruno Clément-Bollé, à qui Ouattara avait initialement confié la réforme de l’armée ivoirienne, et qui se verrait bien rempiler, a cru bon d’ajouter une bonne poignée de sel à l’ébullition à peine calmée en déclarant sur TV5Monde (17/5) :
« Pour moi la gestion de cette crise a été assez mal menée. Quand on mène des négociations comme ça, on se fixe une stratégie et on s’y tient. [...] En fait, en clair il semble que le pouvoir a cédé. [...] Il ne faut pas oublier que ces 8400 [ex-rebelles] n’ont pas eu de formation initiale, pendant 10 ans ils ont été rebelles. […] Donc ce sont des soldats un peu particuliers qui n’ont pas appris les règles de comportement, la rigueur et la discipline qui est propre à tout soldat [...] Malheureusement les chefs de l’armée ivoirienne ne sont pas forcément les meilleurs. Au moment de la reconstruction de l’armée ivoirienne, tous ceux qui étaient de sensibilité du sud, enfin du président Gbagbo, ont été mis un peu à l’écart. Ce sont malheureusement les seuls qui ont été formés [...]. Une armée qui est fragile et qui est mal commandée, elle est dangereuse. »
N’oublions pas que ces ex-rebelles, indisciplinés, et leurs chefs, inaptes au commandement, sont ceux que la France de Chirac et Sarkozy ont soutenu de toutes les façons possibles face à l’armée loyaliste sous l’ancien président Gbagbo. Le général poursuit : « La solution est de reprendre la réforme du secteur de la sécurité qui a été à mon sens mal exécutée. Les choix avait été bons [le général s’auto-congratule] mais l’exécution de cette réforme du secteur de la sécurité, qui a été confié à une entreprise privée américaine qui elle-même a sous-traité à une vague officine de consultance tenue par un ancien colonel français dont on se demande s’il avait le niveau. On parle là quand même de la reconstruction d’une armée. » Le général n’a pas pu s’empêcher de tirer à vue sur le concurrent qui a pris sa suite, Robert Esposti (LDC, 31/5). Après, le 22 mai, ce fut le tour des ex-rebelles démobilisés d’obtenir un accord, dont on ne connaît pas la teneur.
La mutinerie du mois de mai a donné lieu à un nouveau développement avec la découverte d’une cache d’armes neuves au domicile d’un très proche de Guillaume Soro, le leader de l’ex-rébellion des Forces Nouvelles, déclenchée en 2002, qui a soutenu Ouattara lors de la crise post-électorale de 2011. Il est l’actuel président de l’Assemblée nationale et très pressé de succéder à Ouattara. L’arsenal découvert chez son « directeur du protocole » relance ainsi les très graves accusations déjà formulées dans leur dernier rapport par les experts de l’ONU chargés de surveiller l’embargo sur la Côte d’Ivoire (S/2016/254 du 17/03/2016) qui constatait « l’acquisition par les Forces nouvelles de quantités importantes d’armes et de munitions (300 tonnes selon les estimations) au lendemain de la crise postélectorale » sous la supervision de Soro .
Prenant à contre-pied ces experts, le Conseil de sécurité de l’ONU votait un mois plus tard, le 28 avril 2016, deux résolutions pour lever l’embargo, dissoudre le groupe d’experts et fixer la fin de l’Onuci au 30 juin 2017. L’ambassadeur français François Delattre, après le vote de ces deux résolutions introduites par la France, s’en était ainsi hypocritement félicité (S/PV.7681) : « Il est très rare pour le Conseil de se trouver dans une situation où, constatant le retour à la paix et à la stabilité, il peut décider que son action a atteint ses objectifs. C’est le cas aujourd’hui pour la Côte d’Ivoire ».