Survie

France-Tchad : comment recevoir un dictateur sans le montrer

rédigé le 7 août 2017 (mis en ligne le 23 novembre 2017)

Dans une interview fleuve donnée à des RFI, TV5 Monde et Le Monde (25/06), le Tchadien Idriss Déby s’est plaint d’avoir dû rester au pouvoir malgré lui :

« J’aurais souhaité m’arrêter en 2006 après mon second mandat. J’aurais alors cédé le pouvoir. Mais la guerre a éclaté. Des mercenaires ont attaqué N’Djamena [en fait ses anciens alliés mécontents d’être écartés de la rente pétrolière]. Et alors que je ne le voulais pas, la France est intervenue pour changer la Constitution. Il y a un constitutionnaliste dont je ne connais même pas le nom qui est venu ici. J’ai dit que je ne voulais pas changer la Constitution mais ils sont passés par leurs arcanes et ils ont changé la Constitution. »

Timing parfait pour rappeler publiquement que la France avait prêté main forte au coup d’État constitutionnel de 2005 : une semaine après, Déby devait voir Macron au G5 Sahel (lire p. 8) ; l’occasion de faire monter les enchères en termes de soutien politique, en lâchant opportunément une déclaration potentiellement gênante, en forme d’avertissement ("non seulement vous avez besoin de moi pour guerroyer dans le Sahel, mais je suis en position de vous nuire"). Déby avait-il besoin d’un coup de pouce financier de Paris pour le trésor public tchadien, comme lorsqu’il avait critiqué le franc CFA en 2015 ? (cf. Billets n°249, septembre 2015)

L’Elysée ou rien

Mais les photos de famille au G5 Sahel ne suffisaient pas. Il fallait se montrer sur le perron de l’Elysée. Et c’est par un tweet d’Emmanuel Macron qu’on a appris, dans la soirée du 11 juillet, que Déby venait d’être reçu. Sans brouhaha médiatique, et pour cause : le service presse ne l’Elysée n’a envoyé une invitation aux journalistes accrédités qu’à 18h44, pour une ouverture de la cour à 19h30 et une arrivée de Déby à 20h. Impossible à couvrir dans des délais si courts... D’autant que ce RV ne figurait pas dans l’agenda officiel du Président français. Soit Déby s’est incrusté (avec l’aide de son ami Le Drian ?), soit l’Elysée cherchait à rester discret... et sûrement un peu des deux.

En juillet 2012, la réception du Gabonais Ali Bongo avait provoqué un tollé. Mais Macron a appris des erreurs de Hollande.

Vampires pétroliers

Dans un récent rapport intitulé « Tchad SA, un clan familial corrompu, les milliards de Glencore et la responsabilité de la Suisse » (juin 2017), l’ONG Swissaid retrace l’histoire tragique (pour les populations) de l’exploitation pétrolière dans le pays et de l’opacité qui l’accompagne, pour le plus grand bénéfice de Glencore et de l’entourage du dictateur. Le trader de matière première a réussi l’exploit à la fois de mettre la main sur la quasi-totalité de l’exportation du pétrole tout en endettant fortement l’État tchadien.

Au passage, les enquêteurs épinglent le rôle joué par une entreprise française : en 2013, Chevron souhaite se retirer de l’exploitation pétrolière qu’elle ne juge plus aussi rentable et l’État envisage de racheter ses parts. Chevron cherche alors une offre concurrente pour faire monter le prix : « elle la trouve chez l’entreprise pétrolière française Perenco avec laquelle Chevron a des liens étroits. Perenco fait son offre et pour l’évincer, le Président Déby semble avoir accepté toutes les conditions de Glencore qui a prêté des milliards au Tchad. »

Le même Déby dénonce aujourd’hui « un marché de dupe » qui lui a fait adopter « une démarche irresponsable » (Le Monde, 25/06). La démission s’imposerait logiquement...

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 269 - juillet-août 2017
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