Survie

Nouvelle bavure antiterroriste ?

rédigé le 20 novembre 2017 (mis en ligne le 7 février 2018) - Raphaël Granvaud

Le ministère de la Défense malien accuse la force Barkhane d’avoir tué par erreur des soldats maliens détenus par un groupe djihadiste. Aux bombardements a succédé la guerre des communiqués et des rumeurs distillées en « off ».

Dans la nuit du 23 au 24 octobre, les militaires français ont mené un raid au Mali contre un campement du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), mouvement sous la direction de Iyad Ag-Ghaly et affilié à Al-Qaeda. L’État-major se félicitait trois jours plus tard d’avoir « mis hors de combat » 15 terroristes. Mais le lendemain, les djihadistes publiaient un communiqué affirmant que sur les 15 victimes, 11 étaient des militaires maliens retenus en otage. Certains d’entre eux étaient apparus dans une vidéo quelques jours avant l’assaut français, demandant au président malien d’agir pour leur libération. « On ne commente jamais la propagande de l’ennemi. La guerre se fait aussi sur le terrain de l’information », déclarait le porte-parole de l’armée française (Le Monde, 03/11). Dans un deuxième communiqué, le GNIM mettait la France au défi d’accepter « une instance neutre » pour autopsier les corps des victimes et publiait les photographies de 6 d’entre elles, que les militaires maliens affirmeront par la suite avoir identifiés.

Pressions françaises ?

Pendant ce temps, silence radio du côté des autorités maliennes. Le 31 octobre, le président IBK est reçu à l’Elysée et remercie le président Macron de l’avoir accueilli « spontanément » alors qu’il était de passage à Paris pour les 70 ans de l’Unesco. L’affaire n’est officiellement pas évoquée. Mais le 7 novembre, l’AFP met la main sur un communiqué du Ministère malien de la Défense : rédigé à l’issue d’un entretien avec l’ambassadrice de France au Mali, le communiqué confirme la présence de soldats maliens tués et affirme qu’il faudra tirer « des leçons de cette tragédie » et améliorer la communication entre les Français et les Maliens « afin d’éviter la survenue d’un tel événement déplorable dans le futur ». Daté du 31 octobre, il ne sera diffusé qu’après que l’agence de presse a révélé son existence. Les autorités françaises ont-elles fait pression sur les Maliens pour qu’ils gardent le silence ? « Nos militaires prisonniers des jihadistes ont bel et bien été tués lors de l’opération antiterroriste des Français dans le nord du Mali. Appelez cela bavure si vous voulez », déclare alors un responsable du ministère malien de la Défense joint par RFI (rfi.fr, 07/11).

Défaillance dans le renseignement ?

Le 26 octobre, l’armée évoquait une « opération d’opportunité », « soit un raid non-planifié, qui peut se déclencher en quelques heures, sur la foi d’un renseignement vérifié », traduit Libération (26/10) qui s’interroge : « Y a-t-il eu des lacunes dans le renseignement (…) ? » (05/11) « Ces frappes ont eu lieu après un long travail de renseignement. L’opération a été préparée en amont », assure le porte-parole des armées françaises le 2 novembre. Le jour de la révélation du communiqué de la Défense malienne, l’État-major français maintient qu’à « aucun moment » le travail de renseignement « n’a permis de détecter la présence sur ce site de militaires maliens, capturés ou enrôlés par le groupe terroriste ». Pourtant en « off », a commencé à être diffusée une légère variante : il pourrait s’agir de militaires maliens déserteurs ou retournés par les djihadistes. « Nous avons des informations factuelles montrant qu’il ne s’agissait pas d’otages », assure la ministre française des Armées. (JeuneAfrique.com, 16/11) Lesquelles ? Mystère… Seul Le Monde (09/11) rapporte des éléments présentés comme émanant du « renseignement militaire français » assurant que rien dans le fonctionnement du groupe visé ne distinguait d’éventuels otages de leurs ravisseurs. « Il faut être très prudent avec la façon dont les groupes jihadistes manipulent les faits », avertit « une source proche du dossier » qui défend la thèse des militaires maliens convertis au terrorisme (Libération, 06/11). C’est certain, mais la manipulation des faits n’est malheureusement pas l’apanage des terroristes et l’armée française a mainte fois démontré son savoir faire en la matière…

Quelle enquête ?

On peut par ailleurs se demander ce qu’il adviendra des corps et d’une éventuelle autopsie. Dans son 2ème communiqué du 28 octobre, Iyad Ag-Ghali affirmait être « prêt à fournir les corps afin de prouver leur identité ». « Ils ont été enterrés sur place. Nous avons demandé les coordonnées géographiques à l’armée française afin de récupérer les corps », déclare quant à lui le chargé de la communication au ministère malien de la défense (Le Monde 07/11). « Nous avons proposé aux Maliens de nous rendre de nouveau sur place pour recueillir tous les éléments de preuve (...) Nous n’avons pas peur de la vérité », affirme le général Guibert (Le Monde 9/11). La ministre des Armées certifie quant à elle : « Après l’opération, Barkhane est retourné sur le terrain. Les éléments recueillis ont confirmé que les renseignements qui les avaient conduits à intervenir étaient bons.  » On le voit, tout le monde aspire à la vérité, mais les preuves restent dans le sable...

Les pauvres militaires français « piégés »

Pourquoi ne pas en dire plus ? Pour ne pas embarrasser les autorités maliennes, si l’on en croit les sources anonymes mais prolixes de la « grande muette » : « "un contre discours étayé n’est pas possible pour le moment", le risque étant de mettre le Mali dans une position fâcheuse », rapporte le correspondant d’Ouest-France au Mali (Blog Lignes de Défense, 08/11). Même discours « dans les rangs de Barkhane » rapporté dans Le Monde (9/11) : « Les Maliens ont autant à perdre que nous dans ce type d’affaire. Des membres des forces armées maliennes ont déserté ou sont passés dans les groupes terroristes ». D’autres sources anonymes françaises se chargent d’expliquer les véritables enjeux de cette affaire : ce sont les militaires français les véritables victimes. « C’est évidemment dans l’intérêt d’Iyad Ag Ghali, le chef du groupe terroriste visé, de faire porter le chapeau de la mort de soldats maliens à l’armée française ». Mais l’affaire servirait aussi des intérêts politiques à l’approche de la présidentielle malienne : « cette histoire a tout d’un piège. Nous sommes en ce moment le punching-ball des Maliens », assure la même source simultanément au Monde et à RFI (07/11). « La force "Barkhane" est instrumentalisée dans un cadre de politique intérieure par un gouvernement en difficulté », rapporte encore une « source française à Bamako » (Le Monde 9/11).

On voit mal quel parti le pouvoir déliquescent d’IBK pourrait tirer de cette affaire qu’il a manifestement tenté de camoufler dans un premier temps. On voit bien en revanche à qui profitent ces « analyses » distillées anonymement et qui agissent comme autant de rideaux de fumée.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 272 - novembre 2017
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