Survie

Secret défense ou déraison d’État ?

rédigé le 15 janvier 2018 (mis en ligne le 26 juin 2018) - François Graner

« Ces documents seront déclassifiés pour la justice burkinabè, qui aura accès à tous les documents sur l’affaire Sankara. » Cette annonce au Burkina-Faso, le 28 novembre 2017, a permis au président Macron d’y être bien accueilli. Sera-t-elle suivie d’effets utiles ? L’expérience prouve que, dans de nombreuses affaires d’Etat, la promesse de levée du secret défense n’a donné que peu de résultats permettant de connaître la vérité : les documents déclassifiés ont parfois été des pièces hors sujet, ou sont restés partiellement occultés, voire inaccessibles en pratique.

Peu de Français savent que la notion de « secret défense » couvre ce qui protège non seulement la défense nationale, mais aussi la raison d’Etat, et même en réalité plus généralement les décisions sensibles de nos gouvernants. Les électrices et électeurs, invités régulièrement aux urnes, sont dans l’impossibilité de savoir quand, pourquoi, par qui et comment certaines décisions ont été prises en leur nom. Aussi, des personnes et associations confrontées aux abus et dérives de l’usage du secret défense français, et au mensonge d’Etat, souhaitant alerter l’opinion publique et mener des actions concertées auprès des pouvoirs publics, se sont-elles réunies au sein d’un collectif intitulé « Secret défense - un enjeu démocratique » (voir encadré).

« Mensonges et pressions, faisant de la victime un adversaire à combattre »

Dans toutes les affaires en question, les responsables de l’État français paraissent plus soucieux de préserver le roman national, voire de protéger des coupables, que d’assumer publiquement et démocratiquement devant l’Histoire les actions des gouvernements successifs. Ils usent à cette fin de manœuvres diverses, mensonges et pressions, faisant de la victime un adversaire à combattre, jetant les familles dans le désarroi.

Faut-il rappeler à ces responsables politiques que faire obstruction à la manifestation de la vérité sur des crimes commis est non seulement pénalement répréhensible, mais aussi nourrit les soupçons, entretient les polémiques, et porte enfin atteinte à l’autorité même de l’État ? Certaines morts relèvent probablement d’erreurs que les autorités militaires, le cas échéant, auraient dû reconnaître. Plus généralement, aucune de ces affaires ne met en danger la sécurité de l’Etat. Certaines d’entre elles concernent uniquement la France ou les pays voisins, mais sans surprise on y retrouve nombre d’affaires du marigot françafricain.

État d’esprit monarchiste

L’autocontrôle confié, depuis 1998, à une commission administrative est notoirement lacunaire, car l’administration y est à la fois juge et partie. Pour mettre la loi française en conformité avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme dont la France est signataire, il est au minimum nécessaire qu’un juge indépendant puisse contrôler l’usage du secret défense. L’accès aux archives concernées doit être possible largement, dans des délais raisonnables, et dans des conditions matérielles permettant la recherche.

Il est également important de changer la pratique et l’état d’esprit quasi monarchiste qui veut qu’en France, on protège la raison d’Etat, les gouvernants et particulièrement le président de la République, celui-ci ayant la haute main sur la défense, les affaires étrangères et surtout la politique africaine. Le collectif « Secret défense - un enjeu démocratique » a demandé à être reçu par le président Macron... qui a refusé. La transparence ne semble pas encore « en marche ».

Un collectif « secret-defense »

Le collectif « Secret défense - un enjeu démocratique » a officialisé sa création lors d’une conférence de presse dans les locaux de l’EDMP (Paris 12e), le 6 décembre 2017. Sont intervenu.e.s, de gauche à droite : Henri Pouillot, sur la disparition en Algérie de l’universitaire Maurice Audin en 1957 ; Danièle Gonod, sur l’assassinat au Mali des envoyés spéciaux de Radio France Internationale en 2013 ; Armelle Mabon, sur le massacre des tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye, en 1944 ; Bachir Ben Barka, fils du militant internationaliste marocain Mehdi Ben Barka, enlevé à Paris en 1965 ; Elisabeth Borrel, veuve du magistrat Bernard Borrel assassiné à Djibouti en 1995 ; François Graner, sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 ; Bruno Jaffré, sur l’assassinat de Thomas Sankara, président du Burkina Faso, et de ses compagnons, en 1987 ; Jacques Losay, sur le chalutier breton "Bugaled Breizh" coulé en 2004.

Le collectif regroupe aussi des personnes concernées par : l’assassinat de Robert Boulin, ministre en exercice, en 1979 ; les massacres d’Algériens à Sétif en 1945, et à Paris en 1961 ; la destruction en vol d’un avion de ligne italien au-dessus d’Ustica, en 1980 ; l’explosion de la Maison des Têtes de Toulon, en 1989. Le collectif s’intéresse également aux dossiers de la répression des indépendantistes camerounais, du bombardement de Bouaké en Côte d’Ivoire en 2004, et du crash de la Caravelle Ajaccio-Nice en 1968.

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