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RDC : Répression sanglante et complicités internationales

rédigé le 15 mars 2018 (mis en ligne le 17 avril 2019) - Adélaïde Sauveur

En République démocratique du Congo, le Président Joseph Kabila se cramponne au pouvoir depuis la fin de son mandat en décembre 2016, en violation de la Constitution congolaise. Les accords initiés fin 2016 par l’Eglise catholique, dits de la « Saint Sylvestre » n’ont pas abouti : Kabila est toujours là et fait réprimer dans le sang les manifestations pacifiques de la population.

Toutes les institutions à mandats électifs en RDC sont illégitimes depuis fin décembre 2016 ; non seulement le Président de la République, mais également les sénateurs et les députés. Aucune des concertations engagées durant l’année 2017 entre l’opposition et le régime de Kabila n’a abouti. Kabila a même réussi à débaucher quelques éléments de l’opposition, ce qui a entraîné une grande déception dans l’opinion publique.

L’Eglise conteste Kabila

La colère monte au sein de la population. Le Comité Laïc de Coordination, proche de l’Eglise catholique, a appelé les fidèles à manifester chaque mois. Des marches non violentes ont été organisées au sortir des messes. La manifestation du 31 décembre 2017 a été réprimée violemment par les services de sécurité de l’Etat, notamment la Police nationale congolaise (PNC) et les Forces armées de RDC (FARDC) qui ont tiré à balles réelles sur des manifestants, entrainant la mort de plusieurs personnes et des centaines de blessés. Des arrestations ont aussi eu lieu dans différentes villes du pays, dans un black out organisé par une nouvelle coupure d’internet.

Dans son point de presse du 2 janvier 2018, Monseigneur Monsengwo, cardinal-archevêque de Kinshasa a critiqué les dirigeants du pays : « (…) il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RDC… Comment ferons-nous confiance à des dirigeants incapables de protéger la population, de garantir la paix, la justice, l’amour du peuple ? Comment peut-on tuer des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes et vieux, scandant cantiques religieux ? Que veut-on, au juste ? Le pouvoir pour le pouvoir ou bien le pouvoir pour le développement intégral du peuple ? Nous voulons que règne la force de la loi et non la loi de la force. »

Cette contestation portée par l’Eglise catholique a fait tache d’huile : les responsables religieux protestants puis musulmans ont critiqué ouvertement le pouvoir à partir de la mi-janvier.

Le dimanche 21 janvier 2018, une nouvelle journée de mobilisation a eu lieu. Malgré les balles et les arrestations, les Congolais ont montré leur détermination. Dans une centaine de paroisses de la capitale, mais aussi dans les principales villes du pays, la répression a été sanglante : au moins 6 morts, 49 blessés et une centaine d’arrestations, selon un bilan – forcément diplomatique – de l’ONU. Les forces de sécurité ont même lancé des grenades lacrymogènes dans une maternité où quelques manifestants s’étaient réfugiés. Le Pape François a à son tour interpellé les autorités congolaises le 21 janvier : « Je demande aux autorités, aux responsables et à tous dans ce pays bien-aimé qu’ils mettent en œuvre tous leurs efforts pour éviter toute forme de violence et chercher des solutions en faveur du bien commun ».

En réaction aux critiques adressées par Kabila à l’Eglise dans sa conférence de presse du 26 janvier, le porte-parole de la Conférence épiscopale s’est justifié : « l’Eglise doit être présente là où la population souffre. C’est le cas en RDC. Et c’est la crise socio-politique qui a accentué cette souffrance, donc c’est tout à fait normal que les évêques travaillent pour la consolidation de la démocratie.  »

Une nouvelle journée de contestation a été organisée le dimanche 25 février à travers le pays pour exiger l’application intégrale des Accords de la Saint Sylvestre. Malgré les efforts du pouvoir (le Premier ministre Bruno Tshibala a même été vu par des journalistes de l’AFP en train de distribuer des billets de 100 $ aux habitants de certains quartiers de Kinshasa !), la participation a été massive : plus de trois millions de personnes selon les organisateurs. La répression brutale de ces marches s’est soldée, selon un bilan provisoire du Comité Laïc de Coordination, par trois morts et plusieurs blessés dans le pays. Et un nourrisson était entre la vie et la mort après de nouveaux tirs de grenades lacrymogènes dans une maternité (Jeune Afrique, 27/02).

Nouvelles manœuvres du pouvoir

Devant le Conseil de sécurité de l’ONU du 12 février 2018, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de RDC s’est voulu rassurant quant à la tenue des élections générales dans son pays : « Nous pouvons être sûrs d’organiser les élections comme prévu le 23 décembre 2018. » Pour le journaliste Christophe Rigaud, « après les deux marches pacifiques du 31 décembre et du 21 janvier, le pouvoir a cherché à déminer les accusations de l’opposition, en assurant que le président Kabila respecterait la Constitution, et donc, ne se représenterait pas. Mais les déclarations de Joseph Kabila, du porte-parole du gouvernement ou d’André-Alain Atundu de la Majorité présidentielle sur Afrikarabia, entretiennent l’incertitude et ne rassurent personne. [...]. Les doutes qui planent sur la fiabilité du fichier électoral, l’arrivée impromptue de machines à voter, ou la volonté de certains petits partis de la majorité de provoquer un référendum, valident l’idée que Joseph Kabila ne lâchera pas le pouvoir…  » (Afrikarabia, 11/02).

La position des Occidentaux

Dans un rapport au Conseil de sécurité daté du 5 janvier, António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, a dénoncé l’absence d’avancées concernant la « décrispation du climat politique » prévue par l’Accord de la Saint Sylvestre. Il s’y « inquiète du fait qu’aucun progrès véritable n’ait été accompli dans ce domaine, 107 prisonniers politiques étant toujours en détention et les acteurs politiques et les personnalités de la société civile continuent d’être harcelés.  » La MONUSCO (force onusienne en RDC), quant à elle, malgré la présence de plus de 18 000 hommes en RDC, ne semble pas remplir sa mission de protection de la population. Simple spectatrice des violences sur le terrain, elle est parfois même absente, comme lors des manifestations du 31 décembre 2017.

L’ambassadrice américaine à l’ONU a affirmé que son pays était opposé au système de vote électronique proposé par la Commission électorale indépendante congolaise pour les scrutins que le régime prévoit désormais en décembre 2018. Les États-Unis préfèrent le vote papier pour éviter des doutes sur les résultats de ces élections.

En Europe, la Belgique a décidé, en janvier 2018, face aux violations des droits de l’homme par l’Etat congolais, de suspendre son programme bilatéral de coopération avec la RDC : « le nouveau programme bilatéral de coopération avec les autorités congolaises ne pourra être conclu qu’après l’organisation d’élections crédibles, sur base des principes de bonne gouvernance ». Dans une résolution du 18 janvier 2018 sur la RDC, le Parlement européen a pour sa part prié « l’Union européenne et ses États membres de donner la priorité au respect des droits de l’homme ». Dans une tribune collective, onze organisations chrétiennes européennes ont appelé l’UE et ses Etats membres à aller plus loin en termes de sanctions ciblées, pour « s’engager fermement pour la transition démocratique » en RDC (La Croix, 23/02).

Double langage de la France

Certains continuent à manier la langue de bois, tel le Conseil permanent de l’Organisation internationale de la Francophonie (CPF). Cet outil de rayonnement linguistique et politique de la France a lancé, le 25 janvier 2018, un appel à une concertation des partenaires internationaux afin de « recréer une dynamique porteuse d’espoir, notamment en faveur de la tenue d’élections crédibles et apaisées conformément au calendrier électoral en vigueur », alors qu’il est avéré que le calendrier électoral est régulièrement bafoué par le gouvernement congolais. Le ministère des Affaires Etrangères français n’est pas en reste : dans son point de presse du 14 février, il déclarait que « la France est attachée à la tenue effective des élections conformément au calendrier électoral publié le 5 novembre 2017, dans le respect de la constitution congolaise et de l’esprit de consensus qui avait prévalu lors de la signature de l’accord politique du 31 décembre 2016. Elle juge également essentielle la mise en œuvre des mesures de "décrispation politique" pour réunir les conditions d’élections crédibles et apaisées. L’utilisation de machines à imprimer les bulletins de vote, sans précédent en Afrique, mérite un examen approfondi tenant compte du contexte particulier en République démocratique du Congo.  » Mais dans le même temps, la France est accusée d’avoir freiné voire bloqué certaines sanctions de l’Union européenne, entrainant un déchainement de colère dans les organisations de la société civile et sur les réseaux sociaux (Le Monde, 19/01). L’État français, actionnaire à plus de 23 % du groupe Orange, ne semble pas non plus s’émouvoir que ce fleuron de la téléphonie et l’internet mobiles se rende complice du régime Kabila en appliquant régulièrement un ordre illégal : couper l’internet les jours de manifestations, pour empêcher – ou en réalité retarder – la diffusion de photos et vidéos témoignant de l’ampleur de la mobilisation et de la répression. Le groupe, qui se vante d’être devenu en 2016 « leader sur l’Internet Mobile avec 41,6 % de part de marché, loin devant son concurrent AIRTEL à 32,7 %  » (orange.com, 4/5/17), est mathématiquement le premier responsable de l’isolement des manifestants de RDC à chaque grande mobilisation mensuelle. Surtout, l’État français maintient sa coopération militaire et policière avec la RDC : du fait du manque de transparence en la matière, on ignore en réalité le nombre de coopérants militaires et policiers français dépêchés au sein de l’appareil répressif congolais. On devine également l’appui public dont bénéficie l’entreprise privée Themiis, qui recycle des anciens gradés français en formateurs made in France, et qui a mis sur pied un programme à l’attention de la haute hiérarchie militaire et civile, en partenariat avec le CHESD à Kinshasa (Collège des Hautes Etudes de Stratégie et de Défense). C’est sur ces différents points qu’ont été interpellés des députés et le président français par les associations Survie, ACAT-France, Observatoire des armements et la campagne Tournons La Page… en vain pour le moment. Cet appui discret est pourtant l’affirmation d’un soutien au pouvoir en place, tant auprès des manifestants que des barons du régime - le ministre de la Défense se vantant il y a quelques mois de cette coopération militaire « très étroite » avec la France (Jeune Afrique, 14/4/17). Encore une fois, le discours officiel français se heurte à la réalité des faits.

Massacres dans l’impunité

La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a recueilli dans un rapport publié fin décembre 2017 les témoignages glaçants de survivants d’attaques ciblant surtout l’ethnie Luba, dans la province du Kasaï, un foyer d’opposition au régime du président Kabila. L’instabilité dans cette province est utilisée comme un des prétextes pour ne pas organiser l’élection présidentielle. Les forces armées congolaises et des miliciens pro-gouvernementaux sont accusés de procéder à une éradication de cette population du Kasaï, selon une « stratégie de planification et d’extermination, constitutive de crimes contre l’humanité  », d’après l’avocate de la FIDH, Safya Akorri. (Libération, 28/12/2017). C’est dans cette région qu’ont été assassinés en mars 2017 Zaida Catalan et Michael Sharp, deux experts de l’ONU. L’enquête sur ces deux assassinats piétine toujours.

Détournement des ressources

La RDC, très riche en ressources, affiche un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 496 $, parmi les pays les plus pauvres du monde. Les bénéfices engendrés par les sociétés qui exploitent ces ressources sont détournés par le régime en place et la population n’en profite pas. Tel est le cas, par exemple, de la Générale de Carrières et des Mines (GECAMINES), encore récemment épinglée dans une étude de l’ONG Global Witness intitulée : «  Distributeur automatique de billets du régime ; Comment les exportations en plein essor de la République démocratique du Congo ne profitent pas à ses habitants  ». Du côté des ressources pétrolières sous le Lac Albert, un champion français est sur le coup. « Seule major à être présente des deux côtés de la très prolifique frontière congo­laise, Total négocie pied à pied son pro­gramme de travail sur le bloc 3, en attendant de mettre la main sur les blocs 1 et 2 », explique la lettre spécialisée Africa Energy Intelligence (AEI, 19/12/17). La réa­lisation du premier forage se révélant plus complexe que prévue sur le bloc 3, la firme cherche à obtenir une prolongation de son permis d’exploration, pour ne pas perdre le pactole. Début décembre, elle a pour cela in­vité le ministre des hydrocarbures de Kabila à son siège, à la Défense. Mais comme l’ex­plique AEI, « la France profitant actuelle­ment à plein d’une bonne relation avec le pouvoir de Joseph Kabila, Aimé Ngoy Muke­na ne devrait pas s’opposer à l’extension du permis de Total à l’est du Congo-­K ». Mais To­tal louche surtout sur les blocs 1 et 2, plus prometteurs, aux mains depuis 2010 du dia­mantaire israélien Dan Gertler, « une person­nalité trop exposée politiquement et dépendante du président congolais Joseph Kabila » selon AEI, qui explique que Total cherche à ce que ces deux permis repassent aux mains de l’État congolais afin de pouvoir négocier directement avec lui. Pour Total, l’urgence est donc à ce que la France ne fra­gilise pas le régime en place...

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 275 - mars 2018
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