Survie

Le burkina paye-t-il les liens de Compaoré avec les terroristes ?

rédigé le 3 mars 2018 (mis en ligne le 1er mars 2020) - Bruno Jaffré

Le Burkina Faso est la cible de nombreuses attaques depuis la chute de Blaise Compaoré. La dernière en date s’est déroulée au moment où s’ouvrait le procès des anciens cadres du régime. Au vu de leurs relations passées avec les groupes qui mènent ces attaques, ce n’est probablement pas le fruit du hasard.

Le 3 mars, Ouagadougou a subi une nouvelle attaque terroriste en plein centre-ville, avec pour cible l’ambassade de France et le bâtiment de l’État-Major de l’armée. Le bilan officiel fourni par le procureur du Faso le 6 mars fait état du décès de huit soldats burkinabè, de huit assaillants, 85 blessés dont 61 militaires et 24 civils, et plusieurs dizaines de véhicules endommagés ! Les assaillants parlaient l’arabe ou le moré, la langue des Mossis.

En France, le ministère des Armées précise sur son site que ce sont des militaires français qui se sont opposés aux assaillants à l’ambassade de France, omettant le gendarme burkinabè en faction à l’entrée qui s’est sacrifié, et que ce sont les militaires burkinabè qui ont neutralisé les attaquants à l’État-Major.

L’attentat a été revendiqué par Le Jnim, Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (ou, en français, le GSIM pour « Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans ») dirigé par Iyad Ag Ghali (cf. Billets n°213, mai 2012), âgé de 60 ans, considéré comme l’un des plus puissants chefs terroristes du Sahara. Par un message parvenu à l’agence mauritanienne "Al Akhbar", ce groupe déclare avoir agi « en réponse à la mort de plusieurs de ses dirigeants dans un raid de l’armée française dans le nord du Mali il y a deux semaines ».
Selon le site opex360.com (17/02), qui cite des sources militaires, ce raid effectué les 13 et 14 février « a visé plus particulièrement le groupe jihadiste Ansar Dine, qui, dirigé par Ilyad Ag Ghaly, fait partie du Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans, GSIM) ». Dans un communiqué (16/02), le chef d’État-Major français a affirmé que « vingt-trois terroristes, dont des chefs d’Ansar Dine ainsi que d’Al Mourabitoune, connus pour leurs exactions à l’encontre de la population malienne, ont été tués ou capturés dans cette opération  ».

Dégradation sécuritaire

Si les deux attaques à Ouagadougou, contre le café Cappuccino le 15 janvier 2016 et le café-restaurant hallal Aziz Istanbul le 13 août 2017, ont été largement médiatisées en France, car elles visaient des établissements fréquentés par de nombreux expatriés, c’est le nord du pays qui paye le tribut le plus fort. Les attaques y sont récurrentes. Des fonctionnaires refusent désormais de rester, rendant impossible de fonctionnement des services de l’État, et les écoles en particulier. Les instituteurs sont particulièrement menacés.

Les attaques ont commencé le 4 avril 2015, quelques mois seulement après l’insurrection victorieuse qui a entraîné la fuite de Blaise Compaoré, exfiltré par l’armée française. Un bilan global a été établi en mars 2017, par le ministre de la Sécurité, au cours d’un point de presse. A cette date, 70 personnes, civiles et militaires, avaient été tuées lors de différentes attaques, 70 personnes interpellées, et plusieurs otages enlevés. Un autre est effectué en novembre 2017 par le ministre des Affaires étrangères au cours d’un nouveau point de presse : 80 attaques et 133 morts, 2000 écoliers ne pouvant suivre les cours. Un bilan qui dénote une grave dégradation de la situation sécuritaire.

Ancien repère des futurs terroristes

Cette attaque s’est déroulée quelques jours seulement après l’ouverture, le 27 février, du procès des putschistes de septembre 2015. Le procès a cependant repris dès le 21 mars.

L’hypothèse d’un lien avec ce procès a été évoquée par le Balai citoyen, et parait plausible. Les deux principaux accusés ne sont autres que Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé, deux proches parmi les proches de Blaise Compaoré. Le premier, véritable numéro deux du régime, était aussi en charge de la sécurité de la région. Ce fut un des artisans des négociations avec les groupes djihadistes qui ont permis que le Burkina soit épargné des attentats jusqu’en 2015. Apprécié des dirigeants français, il avait reçu la légion d’honneur française et sautait en parachute avec le général Beth lorsque celui-ci était ambassadeur de France au Burkina.

Le second, ancien ministre des Affaires étrangères, a dirigé les négociations lors de la crise malienne entre 2012 et 2014, comme représentant de Blaise Compaoré. Djibril Bassolé n’eut de cesse d’imposer comme partenaires des négociations le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et Ansar Dine, dans lesquels Iyad Ag Ghali jouait un rôle de tout premier plan. Faute de pouvoir diriger le premier, c’est lui qui créa le deuxième. Les chefs du MNLA, défaits, furent sauvés in extremis par un hélicoptère burkinabè le 26 juin 2012, et prirent leurs quartiers à Ouagadougou. Bassolé fut artisan de la proposition visant à propulser le Qatar, considéré comme finançant les groupes terroristes, comme médiateur du conflit au Mali. Par ailleurs, Djibril Bassolé occupait jusqu’en avril 2016 la fonction de Grand Maitre de la loge maçonnique du Burkina, à laquelle appartenait Blaise Compaoré.

Quant à Iyad Ag Ghali, voici ce qu’en disait le journal Les Afriques (26/02/2013) : « Le Mollah de Kidal (Iyad Ag Ghali), 54 ans, (…) vit dans une suite de luxe du 11 ème étage de l’hôtel Laico, un des bijoux du défunt guide libyen, Mouammar Kadhafi. C’est là qu’il reçoit et consulte. Plusieurs personnalités de renom issues de la haute hiérarchie militaire, du gratin politique et du milieu des affaires défilent à longueur de journée. Djibril Bassolé, Francois Compaoré, Dienderé, Moustapha Chafi, le milliardaire Lancine Diawara le côtoient et le protègent. Chouchouté et cadeauté par l’entourage présidentiel immédiat, Iyad Ag Ghali est une pièce maîtresse du leadership du chef de l’Etat, Blaise Compaoré dans la géopolitique du no man‘s land sahélien.  » On y retrouve, et ce n’est pas un hasard, nos deux principaux accusés du putsch de septembre 2015.

Bruno Jaffré

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 276 - avril 2018
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