Courant mars, un diplomate français a participé à
une réunion – sous réserve de préserver son
anonymat – avec quelques associations et chercheurs sur la politique africaine de la France. Bien que
régie par des règles de confidentialité stricte, cette
discussion avait un petit air officiel : la parole se voulait sincère, mais ne risquait pas de varier de la ligne
publique, si ce n’est pour critiquer plus franchement
tel ou tel partenaire international. On était en somme
au-delà de l’exercice de communication institutionnelle, mais avec la franchise d’un espion. Dans de
telles conditions, la probabilité
d’être surpris était faible. Celle de
ne pas s’énerver aussi.
On sourit d’abord, en entendant que la France ne peut pas
condamner publiquement une
répression, dénoncer ouverte
ment des violations des droits.
C’est que, comprenez bien, elle
le ferait si elle le pouvait, mais
elle ne peut plus. Car « au début des années 90, on
était un partenaire indispensable : donc on pouvait,
par une décision, "forcer la main". Ce n’est plus vrai. »
On brûle alors de réinterroger l’histoire de notre politique africaine de la fin du XXè siècle.
Ensuite, on pouffe à peine, dirait Desproges, en
entendant railler « la conceptualisation de la Françafrique », car il s’agit voyez-vous d’ « une idée qui a pu
être pertinente mais ne l’est plus ». La preuve ? « Il n’y
a plus de protection politique et financière en contre
partie ». La rédaction des résolutions au Conseil de
sécurité de l’ONU, les bases et les coopérants militaires, le franc CFA, etc... ne seraient donc que du
folklore ? Bref, « la Françafrique, c’est comme les
Mami Wata : personne ne l’a vu mais tout le monde y
croit ». Le diplomate, fier de ce qu’il pense être un
bon mot, a déjà oublié qu’il vient de reconnaître que
cette Françafrique a existé. Il y a 20 ans, dans ces fameuses années 1990 où il reconnaît qu’on pouvait
« forcer la main » des régimes en place, ses prédécesseurs répondaient avec le même mépris à François-Xavier Verschave et autres militants de l’association
Survie. On progresse ? On s’agace, surtout. Car ce refrain aux allures burlesques tente encore et toujours
de nier avec cynisme l’histoire, y compris récente,
d’une relation d’interventions et de soutiens criminels.
Mais puisque ces Mami Wata n’existent pas, pour
quoi ne pas ouvrir les archives ? Un vrai sujet, reconnaît notre diplomate. On pleure de l’entendre se
féliciter que « le dossier le plus avancé » pour une
telle transparence concerne Madagascar, et la répression sanglante de l’insurrection populaire
de 1947 : certes, ce serait déjà un
progrès de rétablir l’entière vérité
à ce sujet, comme pour Sétif et
Guelma, Thiaroye et tant d’autres
massacres coloniaux. Mais caracoler sur l’ouverture d’archives
vielles de 70 ans, est-ce un signe
de modernité ? Qu’on se rassure, « on prépare la
même chose sur le Cameroun », au sujet de la répression des maquis indépendantistes par l’armée française de 1955 à 1970. « On avait un problème de
classement, mais on devrait rendre toutes les archives
consultables aux chercheurs cette année et organiser
des colloques ». Encore une bonne nouvelle, certes,
mais on lève les yeux au ciel à l’idée que dès qu’on
conquiert une once de transparence, ces serviteurs de
l’État cherchent à cornaquer les historiens en organisant les forums de discussion. Et tant d’autres archives essentielles, brûle-t-on de demander ? « Le plus
difficile à court terme, c’est le Rwanda. Ce n’est pas
une volonté politique de dissimuler, mais le sujet est
très sensible ». Ainsi s’opère le miracle de la langue de
bois : brandir la « sensibilité » face aux accusations de
dissimulation, pour que les rescapés et l’autocritique
de nos institutions attendent... encore 20 ans ?