Survie

Rendez-vous dans 20 ans ?

rédigé le 7 avril 2018 (mis en ligne le 21 avril 2018) - Thomas Noirot

Courant mars, un diplomate français a participé à une réunion – sous réserve de préserver son anonymat – avec quelques associations et cher­cheurs sur la politique africaine de la France. Bien que régie par des règles de confidentialité stricte, cette discussion avait un petit air officiel : la parole se vou­lait sincère, mais ne risquait pas de varier de la ligne publique, si ce n’est pour critiquer plus franchement tel ou tel partenaire international. On était en somme au­-delà de l’exercice de communication institution­nelle, mais avec la franchise d’un espion. Dans de telles conditions, la probabilité d’être surpris était faible. Celle de ne pas s’énerver aussi.
On sourit d’abord, en enten­dant que la France ne peut pas condamner publiquement une répression, dénoncer ouverte­ ment des violations des droits. C’est que, comprenez bien, elle le ferait si elle le pouvait, mais elle ne peut plus. Car « au début des années 90, on était un partenaire indispensable : donc on pouvait, par une décision, "forcer la main". Ce n’est plus vrai. » On brûle alors de réinterroger l’histoire de notre poli­tique africaine de la fin du XXè siècle.
Ensuite, on pouffe à peine, dirait Desproges, en entendant railler « la conceptualisation de la França­frique », car il s’agit voyez­-vous d’ « une idée qui a pu être pertinente mais ne l’est plus ». La preuve ? « Il n’y a plus de protection politique et financière en contre­ partie ». La rédaction des résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU, les bases et les coopérants mili­taires, le franc CFA, etc... ne seraient donc que du folklore ? Bref, « la Françafrique, c’est comme les Mami Wata : personne ne l’a vu mais tout le monde y croit ». Le diplomate, fier de ce qu’il pense être un bon mot, a déjà oublié qu’il vient de reconnaître que cette Françafrique a existé. Il y a 20 ans, dans ces fa­meuses années 1990 où il reconnaît qu’on pouvait « forcer la main » des régimes en place, ses prédéces­seurs répondaient avec le même mépris à François­-Xa­vier Verschave et autres militants de l’association Survie. On progresse ? On s’agace, surtout. Car ce re­frain aux allures burlesques tente encore et toujours de nier avec cynisme l’histoire, y compris récente, d’une relation d’interventions et de soutiens crimi­nels.
Mais puisque ces Mami Wata n’existent pas, pour­ quoi ne pas ouvrir les archives ? Un vrai sujet, recon­naît notre diplomate. On pleure de l’entendre se féliciter que « le dossier le plus avancé » pour une telle transparence concerne Ma­dagascar, et la répression san­glante de l’insurrection populaire de 1947 : certes, ce serait déjà un progrès de rétablir l’entière vérité à ce sujet, comme pour Sétif et Guelma, Thiaroye et tant d’autres massacres coloniaux. Mais cara­coler sur l’ouverture d’archives vielles de 70 ans, est­-ce un signe de modernité ? Qu’on se rassure, « on prépare la même chose sur le Cameroun », au sujet de la répres­sion des maquis indépendantistes par l’armée fran­çaise de 1955 à 1970. « On avait un problème de classement, mais on devrait rendre toutes les archives consultables aux chercheurs cette année et organiser des colloques ». Encore une bonne nouvelle, certes, mais on lève les yeux au ciel à l’idée que dès qu’on conquiert une once de transparence, ces serviteurs de l’État cherchent à cornaquer les historiens en organi­sant les forums de discussion. Et tant d’autres ar­chives essentielles, brûle­-t­-on de demander ? « Le plus difficile à court terme, c’est le Rwanda. Ce n’est pas une volonté politique de dissimuler, mais le sujet est très sensible ». Ainsi s’opère le miracle de la langue de bois : brandir la « sensibilité » face aux accusations de dissimulation, pour que les rescapés et l’auto­critique de nos institutions attendent... encore 20 ans ?

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