Les titres de la presse française annonçant le décès, le 2 avril à Johannesburg de Winnie Mandela, la première femme de Nelson Mandela, répètent tous mécaniquement et unanimement l’adjectif « controversée ». Quant à la télé elle n’a même pas mentionné l’événement.
S’agissant de Winnie Mandela la TV française n’avait pas toujours observé la même discrétion. Les archives de l’INA nous montrent, le 17 février 1989, au journal de 20 heures d’Antenne 2, une nouvelle tonitruante : la « disgrâce » de Winnie Mandela après la révélation des violences commises par sa « garde prétorienne » du Mandela football club, en particulier l’enlèvement le 29 décembre 1988 et l’assassinat du jeune Stompie, dont le corps fut retrouvé le 6 janvier 1989. Le journaliste la déclare « salie aux yeux de la communauté noire tout entière » par « une chute que saura sûrement exploiter le gouvernement de l’apartheid ».
Le procès de Winnie fit également la une du JT d’Antenne 2 le 14 mai 1991, qui annonce le verdict : 6 ans de prison. On voit Winnie sortir le point levé sous les acclamations de ses partisans. Martine Laroche-Joubert commente en notant que cette « superbe » tombera si l’appel formulé par ses avocats est rejeté. L’appel réduira à une simple amende la condamnation déjà singulièrement légère pour une inculpation de complicité d’assassinat. Ce qu’aucun des reportages ne mentionne, c’est la faiblesse des charges de l’accusation, fondée sur des témoignages plus que suspects.
Cette sombre affaire est exposée dans le documentaire « Winnie » de Pascale Lamche (2016), qui, hasard providentiel, se trouvait programmé ce mois de mars sur Arte. On y mentionne que les accusateurs de Winnie furent d’une part le meurtrier de Stompie, qui avouera plus tard avoir tué le jeune garçon parce que ce dernier savait qu’il était un indicateur de police, accusation retournée contre la victime, d’autre part un déséquilibré mental exfiltré au Royaume-Uni par la police sud-africaine et payé pour témoigner avoir vu Winnie elle-même poignarder l’adolescent.
Le journal Le Monde, dans sa chronique télévision du 6 mars 2018, présente ce documentaire en ces termes : « Ce documentaire est le sien. Ses nombreux détracteurs n’y ont pas la parole. Elle s’explique sans être contredite ». Ce journal, virtuose de l’hypocrisie, se garde bien d’observer qu’aucun des médias français, dont lui-même, qui ont proclamé Winnie « controversée », n’a jugé bon de relayer la moindre contradiction, pourtant largement répandue dans les médias anglo-saxons, à la version officielle. Rapporter seulement la propagande du régime d’apartheid et s’y tenir obstinément malgré les nombreux documents critiques apportés avec les années par les enquêtes de journalistes indépendants, est le critère de vérité.
Le flot de la calomnie s’est déversé sans frein et sans aucune contradiction sur les ondes françaises. On a entendu l’avocat Gilles-William Godnadel traiter de « criminelle », chez Ardisson, dans la télé de Bolloré, une personnalité qu’aucun tribunal, même celui de ses ennemis, n’a jamais pu condamner comme telle. Mais il suffit de maîtriser la rumeur publique, dans un pays, la France, qui devrait plutôt rendre des comptes sur le soutien et les aides qu’il a fournies de façon éhontée, à un régime criminel, qui a fait d’innombrables victimes. Les obscures manœuvres politiques qui ont accompagné la fin de l’apartheid, restent à éclaircir. On est loin de la légende dorée à usage du grand public. Le désastre social post-apartheid est là pour rappeler les échecs du changement de régime, où le vaincu ne fut pas tout à fait celui qu’on croit. Cette période troublée vit se déchaîner les combats sanglants entre les populations noires, l’assassinat de Chris Hani (chef de la branche armée de l’ANC, le parti de Mandela) et le meurtre symbolique de Winnie.
Odile Tobner