Survie

« Les pierres crieront »

rédigé le 4 juin 2018 (mis en ligne le 28 juin 2018) - Raphaël Doridant

La visite officielle de Paul Kagame en France té­moigne d’un dégel bienvenu des relations fran­co­-rwandaises. Cependant la complicité
française dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda
ne semble plus à l’ordre du jour pour les deux chefs
d’État. Du point de vue de la raison d’État, ce silence
d’un commun accord peut paraître nécessaire au rap­prochement en cours. Ce n’est pas le cas des pour­suites contre les auteurs du génocide réfugiés en
France. Le président Kagame a­-t­-il en privé insisté
pour qu’elle soient accélérées ? Le président Macron
va­-t­-il faire donner des ins­tructions en ce sens ? L’impu­nité dont jouissent encore
largement les auteurs du gé­nocide dans notre pays, mal­gré les condamnations de
Pascal Simbikangwa – tout
juste confirmée par la Cour
de Cassation, de Tito Bara­
hira et Octavien Ngenzi – ac­tuellement rejugés en appel – va­-t­-elle enfin cesser ?
C’est un premier marqueur à surveiller.
Il y en a un autre. Macron va­-t­-il s’attaquer au né­gationnisme alimenté depuis 1994 par les complices
français du génocide présents au cœur de l’État, qui a
diffusé au sein de certains médias où l’expression
« génocide rwandais qui a fait 800 000 victimes en
majorité tutsi » sert de cache­-misère à une paresse in­tellectuelle inadmissible : il y a eu un génocide contre
les Tutsi au Rwanda, doublé du massacre de dizaines
de milliers de Hutu qui s’y opposaient.
Cette expression « génocide rwandais » fait le lit
de la manipulation de l’opinion publique française. Depuis 1994, des responsables de premier plan (Jup­pé, Mitterrand, Villepin...) ont alimenté les thèses né­gationnistes en évoquant « des » génocides, inventant
un génocide contre les Hutu qui aurait été commis
par le Front Patriotique Rwandais (FPR) dirigé par
Paul Kagame. Une partie de l’appareil d’État a tenté
de faire croire, au mépris des avancées de l’enquête
menée par la justice française, que le FPR avait com­mis l’attentat du 6 avril 1994, signal de déclenche­
ment des tueries, laissant entendre qu’il était donc
moralement responsable du génocide. Comment
s’étonner qu’à l’abri de ce dis­cours quasi­-officiel, ces thèmes
se retrouvent dans un « Que
sais­-je ? » consacré au génocide
des Tutsi
, dans une collection
destinée au grand public et aux
étudiants ?
Le président Macron va­-t­-il
s’exprimer clairement à ce su­jet, pour que cesse enfin le
« travail du génocide » qui se poursuit à bas bruit dans
notre pays (cf. Billets n° 276) ? Va-­t­-il enfin museler,
au sein de l’appareil d’État, ceux qui continuent à ali­menter une guerre de désinformation fondée sur le
thème du « double génocide » et sur l’attribution de
l’attentat au FPR ?
C’est à cela que nous jugerons si les deux chefs
d’État ont ou non décidé de passer la vérité sous si­lence. Mais « s’ils se taisent, les pierres crieront » (Luc
19,40).

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