La visite officielle de Paul Kagame en France témoigne d’un dégel bienvenu des relations franco-rwandaises. Cependant la complicité
française dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda
ne semble plus à l’ordre du jour pour les deux chefs
d’État. Du point de vue de la raison d’État, ce silence
d’un commun accord peut paraître nécessaire au rapprochement en cours. Ce n’est pas le cas des poursuites contre les auteurs du génocide réfugiés en
France. Le président Kagame a-t-il en privé insisté
pour qu’elle soient accélérées ? Le président Macron
va-t-il faire donner des instructions en ce sens ? L’impunité dont jouissent encore
largement les auteurs du génocide dans notre pays, malgré les condamnations de
Pascal Simbikangwa – tout
juste confirmée par la Cour
de Cassation, de Tito Bara
hira et Octavien Ngenzi – actuellement rejugés en appel – va-t-elle enfin cesser ?
C’est un premier marqueur à surveiller.
Il y en a un autre. Macron va-t-il s’attaquer au négationnisme alimenté depuis 1994 par les complices
français du génocide présents au cœur de l’État, qui a
diffusé au sein de certains médias où l’expression
« génocide rwandais qui a fait 800 000 victimes en
majorité tutsi » sert de cache-misère à une paresse intellectuelle inadmissible : il y a eu un génocide contre
les Tutsi au Rwanda, doublé du massacre de dizaines
de milliers de Hutu qui s’y opposaient.
Cette expression « génocide rwandais » fait le lit
de la manipulation de l’opinion publique française. Depuis 1994, des responsables de premier plan (Juppé, Mitterrand, Villepin...) ont alimenté les thèses négationnistes en évoquant « des » génocides, inventant
un génocide contre les Hutu qui aurait été commis
par le Front Patriotique Rwandais (FPR) dirigé par
Paul Kagame. Une partie de l’appareil d’État a tenté
de faire croire, au mépris des avancées de l’enquête
menée par la justice française, que le FPR avait commis l’attentat du 6 avril 1994, signal de déclenche
ment des tueries, laissant entendre qu’il était donc
moralement responsable du génocide. Comment
s’étonner qu’à l’abri de ce discours quasi-officiel, ces thèmes
se retrouvent dans un « Que
sais-je ? » consacré au génocide
des Tutsi, dans une collection
destinée au grand public et aux
étudiants ?
Le président Macron va-t-il
s’exprimer clairement à ce sujet, pour que cesse enfin le
« travail du génocide » qui se poursuit à bas bruit dans
notre pays (cf. Billets n° 276) ? Va-t-il enfin museler,
au sein de l’appareil d’État, ceux qui continuent à alimenter une guerre de désinformation fondée sur le
thème du « double génocide » et sur l’attribution de
l’attentat au FPR ?
C’est à cela que nous jugerons si les deux chefs
d’État ont ou non décidé de passer la vérité sous silence. Mais « s’ils se taisent, les pierres crieront » (Luc
19,40).