Survie

Cameroun : Le choix de la France

rédigé le 15 juillet 2018 (mis en ligne le 17 août 2018) - Thomas Noirot

À trois mois de l’élection présidentielle au Cameroun, l’Élysée a choisi de réaffirmer son soutien au vieux dictateur Paul Biya... qui a pu dans la foulée officialiser sa candidature à sa suc­cession. Cette "clarification" de Paris n’est pas remise en cause par les nouvelles révélations
sur les crimes commis par l’armée camerounaise, qui bénéficie de la coopération militaire française.

Fin juin, Emmanuel Macron se prépare
à son déplacement à Nouakchott, en
Mauritanie, pour le sommet de l’Union
africaine auquel il est invité – pour ne pas dire
qu’il s’y est invité. Mais ce déplacement se
double d’une visite au Nigeria, mastodonte
économique... et puissant voisin anglophone
du Cameroun, où une guerre larvée oppose
le régime à des militants anglophones radica­lisés par des mois de répression féroce (cf. Billets n°274, février 2018). Certes, le Nigeria
collabore officiellement avec le Cameroun,
mais la rébellion armée sécessionniste, les Am­bazoniens, profite de la frontière pour échap­per à ses poursuivants du sinistre Bataillon
d’Intervention Rapide (BIR), qui se venge en
rasant et en incendiant des villages dans les ré­gions anglophones camerounaises. Ces exac­tions ont été dénoncées par l’ambassadeur des
Etats­-Unis à Yaoundé (cf. Billets n°278, juin
2018
), et sont relatées épisodiquement par des
médias français (France 24, RFI, etc.). Les griots
du régime prétendent voir dans ce traitement
médiatique la marque d’un soutien de Paris
aux sécessionnistes : une rumeur efficace pour
relégitimer le vieux dictateur Paul Biya, pré­senté comme une victime potentielle de la
Françafrique ; une recette qui avait déjà fonc­tionné en 2014 et 2015 au sujet des groupes
armés se revendiquant de Boko Haram dans
la région Extrême­-Nord du pays. Biya serait
trop proche des Chinois, au point que les Fran­çais voudraient s’en débarrasser, tantôt en s’ap­puyant sur le Tchad et les chefferies de l’Extrême
Nord, tantôt sur les anglophones des régions
Nord­-Ouest et Sud­-Ouest. Ces accusations dé­lirantes des partisans de Biya ont pu provo­quer depuis 2014 un certain embarras du côté
du Quai d’Orsay, qui redoute une explosion
du sentiment anti­français, lequel a de bonnes
raisons historiques d’être virulent dans ce pays
où de grands groupes français continuent de
faire prospérer leur business. Tout en démen­tant, Paris évitait donc d’affirmer trop haut et
trop fort son soutien à ce régime honni de son
peuple et dénoncé internationalement. Cette
timidité a été interprétée par certains comme
un prétendu lâchage... Ont pourtant été main­tenus d’étroits liens de coopération, y compris
policière et militaire, au nom de « l’amitié »
franco­-camerounaise dont se vantent nos di­plomates, à l’instar de notre ambassadeur Gilles
Thibault sur Twitter : « Félicitations à nos mi­litaires nommés hier au grade de Chevalier
de l’Ordre national du Mérite de la Répu­blique du Cameroun
 » (20/06).

Lemoyne fait le facteur

Mais Biya, octogénaire susceptible, comme
tout vieux potentat ayant passé plus de 35 ans au
pouvoir (se souvenir des caprices d’Omar Bon­go...), ne pouvait pas se satisfaire de si peu. En
2015, il avait obtenu la visite express de François
Hollande (quelques heures sur place lors de sa
tournée africaine), et il était logique de lui accor­der à nouveau une petite faveur, pour éviter qu’il
ne gâche la belle image d’un président français
invité d’honneur au sommet de l’Union africaine.
L’onction démocratique d’un président français
est toujours utile, quelques semaines avant une
élection présidentielle : c’est en effet en octobre
que les Camerounais ré­éliront Paul Biya pour
un septième mandat. Fin juin, il n’est pas encore
officiellement candidat, mais nos diplomates
savent que ce n’est qu’un détail.
Premier acte, un Secrétaire d’État aux Affaires
étrangères est envoyé sur place pour préparer
le terrain : les 28 et 29 juin, Jean­-Baptiste Lemoyne
est à Yaoundé, où il est reçu par Biya. « Le Came­roun [c’est] l’unité dans la diversité », affirme­-t­-il en sortant (RFI, 30/06), reprenant à son compte
l’argument du parti au pouvoir, opposé à toute
idée de fédéralisme – et évidemment de séces­sion. Lemoyne vante même une « volonté qui est avérée de dialogue » chez Biya, tout en jus­tifiant que « par rapport à des exactions qui
sont commises, [le gouvernement apporte]
des réponses parce qu’on ne peut pas impu­nément comme cela, abattre des gendarmes,
des fonctionnaires
 ». Mais il en est sûr, le Came­roun « peut justement pleinement se projeter,
compte tenu de ses hommes et de ses femmes,
pour certains francophones, pour d’autres
anglophones, et pour d’autres bilingues.
 » Pour
cette première expression diplomatique depuis
la répression féroce d’octobre (cf. Billets n°271,
octobre 2017
), il n’est plus question de renvoyer
dos à dos la violence de l’armée et celle de la gué­rilla indépendantiste : on condamne la seconde,
on rejette toute idée de sécession ou fédéralisme,
et on fait de Biya un homme d’avenir.
Second acte, Macron prend son téléphone
et gratifie le vieux potentat de quelques mots de
soutien. Un communiqué de l’Elysée (30/06) of­ficialise cet appel, dans lequel il aurait été ques­tion « plus particulièrement [de] la nécessité
de poursuivre la coopération régionale dans
le domaine de la lutte contre les actions ter­roristes du groupe Boko Haram
. » Macron sou­tient l’action du gouvernement à l’Extrême­-Nord,
mais pas seulement : interrogé par un journa­liste camerounais lors de son séjour au Nigeria,
il précisera : « nous avons parlé des grands su­jets en cours. Le Cameroun a clairement un
défi, qui est la cohésion, la stabilité de l’État,
nous savons les tensions qu’il y a dans la ré­gion anglophone, et là aussi j’ai apporté tout
mon soutien au gouvernement pour qu’il
puisse justement aller vers la stabilité
 » (panoramapapers, 4/07). Ca tombe bien, avec un
dictateur en place depuis 36 ans, le Cameroun
est « stable », vu depuis Paris.

Emmanuel Macron au micro de Canal2 International. Derrière lui, son ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qui tend l’oreille.

Et Macron de pour­suivre : « Je pense que la stabilité va aussi vers
la reconnaissance des éléments de pluralisme,
parfois de décentralisation qui permettent de
régler ces problèmes et ces tensions. Je pense
que ce dont la région a besoin, c’est de stabi­lité. Et ce dont la région a besoin, c’est de trou­ver les bons modèles d’ouverture, de régulation.
C’est pas au président de la France de le dire
mais d’accompagner toutes ces réformes de
décentralisation, de liberté régionale qui sont
offertes dans un cadre national clair
. » Ce qui
est clair, c’est le soutien de la France à la position
du régime camerounais : faire un peu de « dé­centralisation » pour accompagner la répression.

Exécutions arbitraires

Tout va bien, Macron peut aller au Nigeria,
Biya signe le 9 juillet un décret fixant la prési­dentielle au 7 octobre, et annoncera le 13 juillet
sur Twitter
sa candidature. Entre temps, une vi­déo fait le buzz sur les réseaux sociaux : on y
voit des militaires camerounais (donc de l’ar­mée qui, contrairement au BIR, bénéficie plei­nement de la coopération militaire française)
exécuter de plusieurs balles deux femmes, une
fillette et un nourrisson, accusés d’être des
« B.H. », des éléments de Boko Haram [1]. Authen­tifié successivement par deux ONG, le REDHAC
et Amnesty International, l’enregistrement de 3
minutes n’a suscité aucun commentaire côté
français. Paul Biya a pour sa part assuré, le 13 juillet : « nous resterons fidèles à nos engage­ments internationaux et à nos valeurs, no­tamment en matière de respect des droits de
l’Homme
 ». Parole de dictateur ami du pays des
droits de l’Homme.

[1La vidéo est en ligne sur Internet sur ce lien. Il s’agit d’une vidéo extrêmement violente dont le visionnage n’est pas recommandé

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 279 - juillet-août 2018
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