L’image a amusé : mardi 3 juillet, lors de son
voyage au Nigeria, Emmanuel Macron s’est rendu au Shrine, night-club de Lagos tenu par deux
enfants de Fela Kuti (1938-1997). Son fils Femi Kuti
s’est réjoui : « [L’événement] justifie le combat de mon
père, il justifie la reconstruction du Shrine après sa
mort. A l’époque, beaucoup nous critiquaient, affirmant que le Shrine n’était qu’un lieu de fumeurs de
joints et de voyous. Qu’un président français vienne aujourd’hui est un acte symbolique et politique très fort »
(Le JDD, 6/07). Emmanuel Macron a bien saisi l’opportunité de capitaliser sur cette symbolique : le président
jeune, branché, qui déroule à loisir son discours sur le
« nouveau récit » à construire
entre Européens et Africains,
car bien sûr « les leaders européens ne sont pas là pour
donner des leçons aux leaders
africains. Il faut construire le
futur de l’Afrique, ici en
Afrique ». Mais si possible avec les entreprises françaises : le Nigeria est tout de même le premier partenaire commercial de la France en Afrique, loin devant
les économies atrophiées des pays francophones, victimes de décennies d’ingérence françafricaine. Et –
bien sûr sans donner de leçon – il n’a pas hésité à instrumentaliser l’image du père de l’afrobeat, en s’adressant à la salle : « Je veux vous rappeler Fela. Il n’était
pas seulement un musicien, il était aussi un politicien
au sens large. Il était un politicien parce qu’il voulait
changer la société. Alors si j’ai simplement un message
pour les jeunes ici au Shrine ce soir, oui la politique
c’est important, oui, soyez engagés ! »
Dans les deux pays qui partagent les plus longues
frontières avec le Nigeria, la jeunesse aimerait le prendre
au mot. Au Cameroun, ceux « de [sa] génération »,
comme il aime à dire, n’ont connu que le règne de Paul Biya, qui a officialisé quelques jours plus tard son intention de rester sur le trône : le suspense lié à l’élection
présidentielle, prévue le 7 octobre, c’est le nombre de
morts en cas de contestation des résultats, et la durée
de la coupure d’internet et des réseaux sociaux que le
régime ordonnera à Orange et ses concurrents. Et au Niger, 26 leaders de la société civile, qui considèrent aussi que « la politique c’est important », ont été mis en
taule pour avoir voulu organiser des manifestations
contre une loi de finances qui instaure de nouvelles
taxes et va gonfler les profits des opérateurs télé
phoniques, Orange en tête. A Niamey, le procès de
19 de ces militants devait justement se tenir le matin
même du show de Macron au
Shrine, mais a été reporté d’une
semaine : jusqu’à 3 ans de prison
ferme furent requis contre certains d’entre eux (ils seront fixés
sur leur sort le 24 juillet). Le 2
juillet, Karim Tanko, de l’Union
des jeunes pour la protection de la démocratie et les
droits de l’homme, était à son tour arrêté. Mais ce n’est
sans doute pas cette jeunesse qui intéresse Macron ?
Fela Kuti, qui a aussi payé son engagement par de
la prison, sortait en 1979 son légendaire « I.T.T. In
ternational Thief Thief » : ce tube, en français « voleur,
voleur international », dénonçait les leaders corrompus, dont le président nigérian de l’époque Obasanjo,
mais aussi et surtout les corrupteurs et pillards de son
pays, en ciblant nommément le géant de la téléphonie
International Telephone and Telegraph corp. (I.T.T).
Alors comme dirait Macron, « je n’ai pas à donner de
leçons », mais puisqu’il prétend chercher l’inspiration
chez Fela, il devrait réécouter cette chanson en
boucle, en s’interrogeant sur le rôle de l’État qu’il dirige et qui contrôle 23 % du capital d’Orange